Définition de la précarité alimentaire ou food insecurity
La précarité alimentaire désigne l’incapacité à avoir un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive permettant de satisfaire les besoins énergétiques et les préférences alimentaires pour mener une vie saine et active (FAO, Food and Agriculture Organization) (1). Elle résulte le plus souvent d’un manque de ressources financières.
Différentes formes
Elle peut revêtir différentes formes, en particulier :
• la crainte que le budget alimentaire soit insuffisant,
• l’expérience de manquer de nourriture, sans argent pour en acheter plus,
• la perception que la nourriture est insuffisante en qualité ou en quantité,
• l’incapacité de manger des repas équilibrés,
• la sensation physique de faim,
• et, à l’extrême, la privation absolue de nourriture pendant toute une journée à cause du manque de nourriture et d’argent pour acheter de la nourriture (2).
Causes et conséquences
La précarité alimentaire existe chaque fois que la disponibilité d’aliments nutritionnellement adéquats et sûrs ou que la capacité d’acquérir des aliments acceptables de manière socialement acceptable est limitée ou incertaine (3). Les dépenses liées à l’alimentation peuvent représenter le tiers, voire la moitié, du budget mensuel des personnes en situation de précarité (contre 15 % pour les plus aisés). La précarité alimentaire peut être associée à une alimentation de faible qualité (4). Elle peut être cyclique et épisodique en fonction, notamment, du versement du salaire (fin de mois) et de la saison (hiver) responsable de binge fast cycles, c’est-à-dire des périodes de privation et/ou de sous-consommation alimentaire ainsi que des périodes de surconsommation pour compenser les périodes où les ressources étaient limitées.
Prévalence et incidence
La précarité alimentaire concerne 11-14 % des ménages aux États-Unis et 12 % au Canada. Elle est paradoxalement plus fréquente chez les patients pour qui l’alimentation exerce un effet important sur la santé ! Elle est plus fréquente chez les diabétiques (16 %) que chez les non-diabétiques (9 %) (5).
Populations à risque
Même si elle résulte le plus souvent d’un manque de moyens financiers, plusieurs facteurs de risque de précarité alimentaire ont été identifiés, parmi lesquels :
• famille monoparentale (mère seule),
• faible niveau d’éducation,
• incapacité de travail,
• emploi précaire (CDD),
• manque d’éducation nutritionnelle (littératie),
• seniors,
• migrants récemment arrivés, isolés,
• minorités ethniques,
• SDF,
• bénéficiaires d’aide sociale,
• faible accès aux soins de santé.
Conséquences sur la santé
La précarité alimentaire est l’un des déterminants sociaux de la santé. En effet, il existe une relation bien établie entre la précarité alimentaire et la mauvaise santé physique, mentale et sociale. La précarité alimentaire augmente le risque de plusieurs maladies chroniques, dont l’obésité, le diabète sucré, l’hypertension artérielle, mais aussi les problèmes psychiatriques, en particulier l’anxiété et la dépression, et même de décès prématuré.
Mécanismes nutritionnels
La précarité alimentaire favorise :
• la consommation d’aliments ultra-transformés à haute densité énergétique et à faible densité nutritionnelle, car le coût de la calorie est moins élevé,
• la faible consommation de fruits et légumes, d’où un plus faible apport en micronutriments,
• la consommation de sucres ajoutés, d’où une charge glycémique élevée
• et la fréquentation des fast-foods.
La restriction alimentaire cyclique entraîne :
• une nette préférence pour les aliments riches en calories,
• une accumulation de nourriture,
• une diminution de la masse musculaire maigre
• et une prise de poids plus rapide avec une augmentation de la graisse corporelle lors de la réalimentation.
En cas de précarité (très) sévère, il existe un risque de perte de poids et de dénutrition (Obesity-hunger paradox).
Conséquences sur le diabète
La relation entre la précarité alimentaire et le diabète sucré est bidirectionnelle. D’une part, la précarité alimentaire favorise le développement du diabète sucré, mais aussi le mauvais équilibre glycémique (6, 7), la survenue des complications et le risque d’hospitalisation. D’autre part, la présence d’un diabète sucré au sein d’une famille augmente le risque de précarité alimentaire du ménage.
Risque de diabète de type 2 et gestationnel
En effet, plusieurs études transversales et surtout longitudinales (8) montrent que la précarité alimentaire augmente par un facteur 2 à 3 le risque de développer un diabète sucré de type 2. Ce risque accru n’est pas seulement lié au développement de l’obésité (9). En effet, la précarité alimentaire rend difficile la mise en pratique des recommandations diététiques susceptibles de prévenir le diabète sucré. La précarité alimentaire est également associée à un risque accru de diabète gestationnel.
Équilibre glycémique
En outre, la précarité influence défavorablement l’équilibre glycémique évalué par le taux d’hémoglobine glyquée. Les patients sont à risque d’hyperglycémie lors de la consommation d’une charge glycémique élevée et à risque d’hypoglycémie si un repas est sauté par manque de ressources financières.
Conformité au traitement et aux recommandations
La conformité au traitement antidiabétique est moins bonne avec la raréfaction des visites chez le médecin, un retard dans l’achat des médications, la réutilisation des aiguilles et une réduction des autocontrôles glycémiques suite au manque de moyens financiers (treat or eat). L’observance des recommandations diététiques est souvent aléatoire (alimentation à riche densité nutritionnelle, notamment fruits, légumes et céréales complètes avec un apport de protéines de bonne qualité comme produits laitiers et produits carnés et une limitation des sucres ajoutés et des graisses saturées).
Complications
Il n’est donc pas étonnant que le taux de complications soit plus élevé non seulement en rapport avec la glycémie (microangiopathie), mais aussi, dans une moindre mesure, pour les autres comorbidités associées (HTA, cholestérol…) vu la consommation d’aliments riches en sel et en graisses saturées en cas de précarité alimentaire. Le risque de complications cardiovasculaires est exacerbé aussi, car le tabagisme est plus présent et la pratique sportive moins fréquente. Enfin, la précarité alimentaire augmente les problèmes de santé mentale chez le diabétique, notamment l’anxiété et la dépression.
Diabète et risque de précarité alimentaire
À l’inverse, la présence d’un diabète augmente le risque de précarité alimentaire. En effet, le diabète peut réduire les rentrées financières (limitation des possibilités d’emploi, absentéisme plus important) et parallèlement réduire les moyens financiers pour une alimentation saine (augmentation les dépenses de santé de la famille). Ceci peut contribuer à un cercle vicieux.
Comment prévenir et remédier ?
Au niveau des soignants
Dépister
Vu la relation bidirectionnelle entre précarité et diabète sucré, il faut assurer le dépistage de la précarité alimentaire chez les diabétiques, en évoquant la possibilité du problème avec le patient (avec l’outil FIES ou Household Food Security Survey Module (HFSSM) au Canada) (10-12), mais aussi renforcer le dépistage des états pré-diabétiques et du diabète dans les milieux précarisés pour assurer une meilleure prévention et une prise en charge plus précoce.
Adapter les stratégies thérapeutiques
Dans le cadre de la prise en charge du diabète constitué, vu le caractère cyclique de la précarité, les praticiens doivent privilégier les antidiabétiques à faible risque d’hypoglycémie et les schémas d’insulinothérapie permettant une grande flexibilité (basal ou basal-prandial). La cible glycémique devra souvent être adaptée vers le haut pour limiter le risque d’hypoglycémie.
Éduquer et conseiller
L’alimentation des diabétiques en précarité pourra être améliorée par l’éducation et par des fiches d’information simple et imagée éditées en plusieurs langues. Les conseils alimentaires prodigués devront tenir compte des moyens financiers, mais aussi des habitudes culturelles. Les soignants accueillant des diabétiques en précarité doivent être impliqués dans leur éducation pour les alerter sur ces complications, en particulier celles touchant les pieds et la rétine. Ceci nécessite le développement de réseaux de soins pour diabétiques que les patients seront encouragés à intégrer quel que soit leur degré de précarité.
Au niveau de la société
L’objectif ultime est bien sûr de comprendre et surtout d’agir sur les causes mêmes de la précarité, en permettant à chacun l’accès à un logement adéquat et des revenus suffisants. Sans attendre cet objectif lointain, des solutions temporaires peuvent être développées. Ainsi, une meilleure prise en charge des besoins alimentaires doit être mise en œuvre par les banques alimentaires. Des subventions doivent être accordées aux organismes caritatifs pour perpétuer les distributions alimentaires gratuites. L’accès aux soins de santé doit être facilité, notamment via la gratuité des soins médicaux, dentaires et podologiques aux diabétiques en précarité tout en incitant les personnes précaires à se renseigner sur leurs problèmes de santé. Enfin, introduire une formation médico-psycho-sociale adaptée aux problèmes des personnes précaires dans le cursus des personnels de santé semble de plus en plus nécessaire.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
1. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. La faim et l’insécurité alimentaire. Disponible sur : www.fao.org/hunger/fr/.
2. Seligman HK, Laraia BA, Kushel MB. Food insecurity is associated with chronic disease among low-income NHANES participants. J Nutr 2010 ; 140 : 304-10.
3. Life Science Research Organization. Core indicators of nutritional state for difficult-to-sample populations J Nutr 1990 ; 120 : 1559-600.
4. Krebs-Smith SM, Pannucci TE, Subar AF et al. Update of the healthy eating index: Hei-2015. J Acad Nutr Diet 2018 ; 118 : 1591-602.
5. Kirby JB, Bernard D, Liang L. The prevalence of food insecurity is highest among americans for whom diet is most critical to health. Diabetes Care 2021 ; 44 : e131-2.
6. Casagrande SS, McKeever Bullard K, Siegel KR, Lawrence JM. Food insecurity, diet quality, and suboptimal diabetes management among US adults with diabetes. BMJ Open Diabetes Res Care 2022 ; 10 : e003033.
7. Gordon B. The impact of food insecurity on glycemic control among individuals wwith type 2 diabetes. BioMed 2022 ; 2 : 170-80.
8. Nikolaus CJ, Hebert LE, Zamora-Kapoor A, Sinclair K. Risk of food insecurity in young adulthood and longitudinal changes in cardiometabolic health: evidence from the National Longitudinal Study of Adolescent to Adult Health. J Nutr 2022 ; 152 : 1844-52.
9. Tait CA, L’Abbé MR, Smith PM, Rosella LC. The association between food insecurity and incident type 2 diabetes in Canada: A population-based cohort study. PLoS One 2018 ; 13 : e0195962.
10. FAO. The Food Insecurity Experience Scale: Development of a Global Standard for Monitoring Hunger Worldwide. 2013.
11. Robbiati C, Armando A, da Conceiçao N et al. Association between diabetes and food insecurity in an urban setting in Angola: a case-control study. Sci Rep 2022 ; 12 : 1084.
12. Gouvernement du Canada. The Household Food Security Survey Module (HFSSM). Disponible sur : www.canada.ca/en/health-canada/services/food-nutrition/food-nutrition-surveillance/health-nutrition-surveys/canadian-community-health-survey-cchs/household-food-insecurity-canada-overview/household-food-security-survey-module-hfssm-health-nutrition-surveys-health-canada.html.