Résumé
L’insulinothérapie automatisée en boucle fermée (BF) dans le diabète de type 1 a fait l’objet d’une prise de position d’experts français en 2020. L’application de ces recommandations est très différente selon les conditions géographiques et le type d’exercice du praticien. Plusieurs témoignages de diabétologues décrivant la mise en place et le suivi des patients avec BF permettent de mieux comprendre cette hétérogénéité de pratique. Une actualisation de la prise de position permettant de simplifier le parcours de soins des candidats à la BF est peut-être à envisager.
Abstract
The position of French experts 2020 concerning the implementation of automated closed-loop insulin therapy: should it be updated?
Automated closed-loop (ACL) insulin therapy in type 1 diabetes has led to a position paper by French experts in 2020. The application of these recommendations is very different depending on geographical conditions and the practitioner’s type of exercise. Several testimonials from diabetologists describing the implementation and follow-up of patients with ACL provide a better understanding of this heterogeneity of practice. An update of the position paper to simplify the course of care for candidates for ACL should be considered.
Introduction
Parmi les évolutions technologiques qu’a connues la diabétologie ces 30 dernières années, l’arrivée de l’insulinothérapie automatisée en boucle fermée (BF) n’est pas la moins spectaculaire. Considérée comme le traitement idéal par la plupart des sujets diabétiques de type 1 (DT1) (mais convoitée de plus en plus par un certain nombre de sujets DT2), cette prouesse technologique a fait rêver tous les diabétologues jusqu’à ce qu’elle devienne réalité en 2020.
Conscients de la nécessité d’encadrer cette prise en charge thérapeutique dans le DT1, des diabétologues français experts dans ce domaine et impliqués dans la prise en charge de la population adulte et pédiatrique ont ainsi publié une prise de position détaillée concernant l’insulinothérapie automatisée par boucle fermée en 2020 (1). Ce document très précis décrit, en six chapitres, les différents aspects de la mise en place d’un tel système chez un sujet DT1, des indications à la surveillance en passant par l’initiation et la formation des professionnels de santé impliqués (médecins, infirmières et infirmiers, diététiciennes et diététiciens, prestataires de santé à domicile). Décrivant dans le détail le rôle de chaque structure et de chaque catégorie professionnelle et définissant de façon formelle (et le cas échéant de façon chiffrée) les conditions permettant à un service hospitalier d’être considéré comme centre initiateur ou comme centre de suivi, cette prise de position en impose par son ampleur (38 pages, 129 références bibliographiques, 35 auteurs) au point d’intimider certains diabétologues pourtant tentés par l’aventure de la boucle fermée.
Mais qu’est-ce qu’une position d’experts ? Que recouvre-t-elle comme obligations pour les médecins potentiellement prescripteurs de BF ? Devant l’ampleur de la demande de BF dans le DT1 et bientôt peut-être dans le DT2, ne faudrait-il pas faciliter la mise en place de ce système plutôt que d’allonger la (déjà) longue file des sujets qui attendent depuis des mois ? Essayons de mieux comprendre la situation actuelle en France pour permettre au plus grand nombre de DT1 de bénéficier d’une technique dont l’efficacité et la sécurité d’utilisation se confirment de jour en jour, la positionnant de plus en plus comme le traitement de référence dans le DT1.
Limites de cette position d’experts
La notion de centre initiateur
Les conditions de mise en place d’une BF au vu de la position des experts français reposent d’abord et avant tout sur la notion de centre initiateur. Dans la prise de position, il est bien précisé : « Cette notion de centre initiateur peut s’appliquer aussi bien à des équipes hospitalières qu’à des équipes libérales ou des organisations public/privé, éventuellement multisites, coordonnées et structurées, sous couvert du respect des critères mentionnés ci-dessus, et doit prendre en compte les spécificités et organisations régionales. Ces organisations doivent permettre une accessibilité au traitement pour les patients sur l’ensemble du territoire. »
Si l’ouverture à des structures mixtes ou libérales ne peut être que louable, les critères dont il est question ne peuvent cependant pas toujours être remplis, en particulier en milieu libéral ou lorsque le secteur géographique ne permet pas au diabétologue et au patient d’avoir une structure hospitalière à proximité : « La notion de centre initiateur repose sur la possibilité de déployer une équipe multiprofessionnelle formée à l’éducation thérapeutique (minimum niveau 1) (médecin spécialiste en endocrinologie-diabétologie ou pédiatre expérimenté en diabétologie, IDE d’éducation, diététiciens avec au minimum deux médecins spécialistes en endocrinologie-diabétologie ou pédiatre(s) expérimenté(s) en diabétologie formés à la boucle fermée et en mesure d’assurer une astreinte médicale 24 h/24 et 7 j/7 et l’accueil des urgences. »
Ces conditions, qui sont parfaitement compréhensibles en termes de sécurité pour le patient, ne peuvent malheureusement pas toujours être appliquées par certains services d’hôpitaux périphériques ou de structures libérales, d’autant qu’apparaît dans ce document la notion de labellisation des centres initiateurs et des centres de suivi (voir tableau VI du document) avec des contraintes majeures, notamment en termes de file active de patients DT1 sous pompes.
La labellisation
La forme de cette labellisation (qui labellise ? Quand ? Comment ?) n’est d’ailleurs pas du tout précisée dans le document, ce qui est dommage puisque cette absence de précision entretient le flou pour les services ou les diabétologues souhaitant initier cette prise en charge technologique, ce flou induisant la plupart du temps une inertie thérapeutique par frilosité réglementaire.
Il ne faudrait pas que ce texte, écrit dans un esprit constructif d’encadrement des pratiques devienne ainsi une source de difficultés au quotidien pour un diabétologue qui s’engage à « assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » (art. R.4127-32 du Code de la Santé publique).
Une vision hospitalière
À vrai dire, ce texte peut parfaitement s’appliquer à des structures hospitalières telles que les centres hospitalo-universitaires, mais beaucoup moins, voire pas du tout, à des structures plus modestes (hôpitaux périphériques ou structures libérales). Cette vision hospitalière peut d’ailleurs être considérée comme un frein au développement de ce fameux virage ambulatoire de la diabétologie alors que l’efficacité spectaculaire des BF et leur sécurité d’utilisation en font un exemple symbolique de ce qui devrait se faire de plus en plus de façon ambulatoire.
À cela s’ajoute un obstacle administratif totalement indépendant des propositions du groupe d’experts, à savoir la demande d’accord préalable pour les capteurs qui ne peut être réalisée que par un diabétologue hospitalier.
Cadre réglementaire contraint, conditions d’exercice très variables, pression forte des patients, comment le paysage diabétologique en France s’est-il adapté à cette situation nouvelle ?
Quelques témoignages recueillis auprès de diabétologues dont les pratiques et les conditions d’exercice sont très différentes, nous permettant d’appréhender la grande hétérogénéité dans l’organisation de la mise en place et du suivi des BF actuellement.
Les pratiques des uns et des autres
Certains diabétologues n’exerçant pas dans un service hospitalo-universitaire ont accepté de témoigner sur leur pratique de la BF au quotidien et de nous livrer leurs réflexions sur le sujet.
Dr C.J, diabétologue libérale dans le centre de la France
Contexte
« J’ai un travail à la fois en cabinet de ville et je bénéficie de lits d’hospitalisation dans deux cliniques privées. L’une d’elles bénéficie d’une équipe d’éducation thérapeutique. Nous disposons d’une infirmière d’éducation thérapeutique spécialisée en diabète et d’une diététicienne. Nous avons commencé en novembre 2021 la pose de pompe à insuline SC en BF. L’idée était de sélectionner des patients ayant une forte variabilité glycémique, un pourcentage de glycémies dans la cible médiocre et/ou ayant des hypoglycémies répétées. »
Sélection des patients
« Afin de statuer sur l’indication de mise en place de BF, on peut, à mon sens, s’aider des glycémies nocturnes. La période nocturne est une période intéressante, car elle est la plupart du temps pauvre en activité physique et limitée en consommation glucidique. Lorsque l’on observe une non-reproductibilité des glycémies, cela permet d’expliquer au patient qu’il ne sera pas possible d’améliorer le débit basal sans une adaptation en temps réel. S’est posée par la suite la question de l’insulinothérapie fonctionnelle avec le calcul des glucides. Initialement les premières BF ont été réservées aux patients déjà rodés au calcul des glucides avec des ratios/index de sensibilité déjà rentrés dans leur pompe. Mais très vite s’est posée la question de la perte de chance de ceux qui n’étaient pas à l’aise avec le comptage de glucides, mais qui restaient avec des pourcentages de glycémies dans la cible médiocres avec forte variabilité des glycémies. Nous sommes donc convenus de réaliser avant la pose de BF une fiche alimentaire sur quelques jours. La diététicienne nous calcule les quantités de glucides par repas. Cela permet d’obtenir un tableau avec petit/moyen/gros repas avec des comptes de glucides approchés (par exemple : petit déjeuner 30/40/60 g – midi 60/80/100 g – soir 50/60/70 g). En reliant les bolus moyens habituels du patient et ces calculs de glucides, on peut extrapoler des ratios afin de paramétrer la pompe. L’expérience prouve que cela marche très bien, on observe une nette amélioration des paramètres glycémiques et le patient peut évaluer facilement s’il va manger beaucoup ou pas de glucides sans avoir à faire de compte précis. »
En pratique pour la pose des pompes en BF
« Les patients sont tous formés en amont à domicile par le prestataire de pompe pour le maniement de la pompe (surtout si différente de la précédente), sur plusieurs sessions. Je travaille avec différents prestataires, mais toujours les mêmes, car ils connaissent mes habitudes de travail. Je les contacte par SMS en leur stipulant le type de pompe à présenter au patient. Je programme l’hospitalisation de jour pour pose de BF lors d’une consultation en présentiel ou visio (la plupart du temps lors d’une consultation de renouvellement de traitement). Pendant cette consultation, il conviendra de :
• poser l’indication de BF ;
• vérifier si le patient compte ou non ses glucides ;
• revoir le protocole d’IF (ratio/IS/quantité d’insuline quotidienne/durée d’insuline active…) pour programmation de la pompe ;
• vérifier l’ancienneté du FO ;
• vérifier l’HbA1C (pour la DEP).
Les hospitalisations sont programmées et organisées par mes secrétaires au cabinet, qui vérifient les disponibilités de chacun, car je souhaite que le prestataire soit présent et éduque le patient en collaboration avec l’IDE ETP (afin d’harmoniser les consignes). Elles me préparent les formulaires pour les DEP également, qu’elles transmettent au prestataire. »
Conclusion
« En conclusion, d’un point de vue pratique, les mises en place de pompe en BF semblent tout à fait réalisables et sécurisées dans des structures libérales bien rodées à la pose de pompe déjà labellisées “centre initiateur de pose de pompe”. Mais ne faut-il pas simplifier le cahier des charges des “centres initiateurs de BF” en particulier concernant le nombre d‘installations réalisées (ou prévues par le centre) dans l’année et la file active des patients, afin de ne pas freiner certains centres à sauter le pas ? »
Dr François Moreau, diabétologue libéral à Strasbourg, ancien président du SEDMEN
Un cercle vertueux rapide
« À près de 1 an du remboursement en France du système de boucle semi-fermée, force est de constater, ou de confirmer ce que l’on attendait, que ces systèmes d’administration d’insuline semi-automatisée par pompe via couplage capteur sont en vie réelle très efficaces tant métaboliquement qu’en termes de qualité de vie pour les personnes diabétiques pouvant en bénéficier. Dans mon expérience libérale, l’appropriation de ces systèmes par des personnes DT1, maîtrisant déjà bien la gestion de la pompe à insuline et le comptage des glucides, est rapide et efficiente. En effet, ces systèmes permettent rapidement un retour positif des investissements technologiques et de leur utilisation par les patients. Ainsi, un cercle vertueux rapide de la confiance consolidée du patient en ce système et un suivi rapproché initial par le diabétologue se créent. L’expertise du praticien diabétologue et le suivi technique par le PSAD sécurise le tout. »
Pour une simplification
« Après ces plusieurs mois d’utilisation et l’excellence des résultats, se basant au niveau humain sur un diabétologue, une personne DT1 formée techniquement par le prestataire se pose clairement la question d’une simplification de la mise en place de ces systèmes. Après plusieurs mois d’expérience, plusieurs dizaines de personnes équipées, les recommandations SFD sur la mise en place des boucles semi-fermées doivent être simplifiées, modifiées pour s’ouvrir davantage sur cette alliance forte et efficace diabétologue, personne DT1. La mise en place des boucles semi-fermées, pour des personnes déjà sous pompe, rattachées à un centre initiateur pompe, maîtrisant le comptage simple des glucides, doit pouvoir à court terme se faire hors centre hospitalier. Le parcours actuel proposé par les recommandations SFD doit être allégé, en ne mettant pas en avant une structure hospitalière à deux niveaux, mais un suivi préalable et une alliance réciproque praticien diabétologue et personne DT1 et donc une mise en place ambulatoire en consultations rapprochées. Cette mise en place simplifiée, plus pragmatique et plus adaptée, à l’efficacité-sécurité de ces systèmes, permettra un plus large accès aux personnes DT1, une réduction des coûts à moyen terme. Elle devra s’accompagner d’une rémunération spécifique à sa juste valeur de ces consultations d’initiation boucle semi-fermée, et de toute façon moindre que les coûts forfaitaires hospitaliers. »
La boucle fermée en pratique libérale : une utopie – Sylvie Picard (Dijon) et Emmanuelle Lecornet-Sokol (présidente de la FENAREDIAM)
Une étape cruciale
« La prise de position de la SFD sur l’insulinothérapie automatisée (IA) a été une étape cruciale pour l’organisation de la prise en charge des personnes vivant avec un DT1 en France. Notamment, elle a confirmé que la mise en place d’une boucle fermée hybride (BFH) obéit à un cahier des charges strict, mais que, dès lors que celui-ci est respecté, une équipe peut parfaitement se constituer en centre initiateur de BFH, que cette équipe soit hospitalière, libérale ou mixte et qu’elle soit ou non concentrée sur un même lieu géographique. En somme, et c’est la logique et le bon sens : la capacité de mettre en place des BFH et de suivre les patients ne doit pas être dépendante du statut (hospitalier ou libéral), mais bien de la formation, de l’expérience, de la compétence et de l’organisation de l’équipe. »
Des textes obsolètes
« Mais le bon sens ne triomphe pas toujours : des textes totalement obsolètes interdisent aux endocrino-diabétologues libéraux (EDL) la prescription – et même le renouvellement – des deux types de capteurs utilisés actuellement dans les BFH et ceci simplement en raison de leur “statut” de libéraux. Et la demande d’entente préalable rend impossible dans la plupart des régions le contournement de ces textes au moins pour les EDL qui ont une pratique uniquement en cabinet, sans aucune attache hospitalière ou en clinique – ce qui ne les rend pas moins compétents… »
Le DIU d’insulinothérapie automatisée
« Depuis l’année universitaire 2021-2022 s’est mis en place le DIU d’IA organisé par la faculté de Montpellier. Plusieurs EDL se sont inscrits à ce DIU et ont obtenu le précieux sésame. Sauf que ce sésame n’ouvre aucune porte actuellement. Ce DIU demande un investissement important en temps (1 semaine de cours distanciel pour 40 heures d’enseignement passionnant et une dizaine de jours d’un stage extrêmement formateur pour 60 heures) et un investissement financier (un peu plus de 2 semaines sans consultations + presque 1 200 € d’inscription et frais de “scolarité” + trajets et hébergement dans la ville de stage lorsque ce n’est pas la ville de résidence). Cet investissement est sans hésitation largement compensé par la qualité de la formation, mais, ensuite, on ne peut malheureusement pas faire profiter nos patients de nos connaissances et de notre expérience en raison de cette interdiction de prescription. Nous avons actuellement des listes de nombreux patients qui attendent avec impatience la mise en place d’une BFH “dès que possible”. »
Une administration lente
« La SFD a été alertée à plusieurs reprises de ce paradoxe et essaie sans doute de faire bouger les choses, mais l’administration est lente et les patients sont frustrés, sans parler de leur perte de chance liée au moins bon équilibre sans BFH et sans parler de l’incidence sur la charge mentale. De plus, les CHU ne pourront pas “absorber” tous les patients dans des délais raisonnables et les listes d’attente s’allongent dans certains CHU. Certains patients risquent donc de se retourner vers des équipes hospitalières non formées de façon optimale, mais capables de prescrire simplement en raison de leur statut hospitalier alors que ces personnes sont habituellement suivies par un EDL titulaire du DIU et parfaitement formé, mais qui ne peut pas prescrire les capteurs adaptés. »
Le CIRDIA
« Nous avons donc décidé avec quelques collègues d’essayer de faire bouger les choses de façon concrète en croyant très fort au bon sens de tous et notamment des payeurs. Il apparaît en effet, après de nombreuses discussions, que ce qui inquiète les caisses et fait qu’elles interdisent la prescription de ces capteurs aux EDL est d’une part l’exigence de qualité, mais d’autre part et surtout la crainte de voir les prescriptions “exploser” lors de l’extension aux EDL… Nous avons donc créé une association loi 1901 dénommée CIRDIA (Centre inter-régional d’insulinothérapie automatisée) qui a pour mission de rassembler les acteurs de soin dans une structure qui, par ses statuts, garantit la formation et la compétence des acteurs et répond en tous points à l’arrêté de juillet 2006 sur la prescription des pompes et au cahier des charges de la SFD pour les centres initiateurs de BFH. Les membres prescripteurs du CIRDIA sont/seront des endocrino-diabétologues essentiellement (mais pas obligatoirement) libéraux en sachant que l’initiation des BFH sera retreinte aux titulaires du DIU d’IA (ou en cours de DIU). Les autres membres du CIRDIA seront des paramédicaux (IDE, diététiciens) qui devront apporter la preuve de leur compétence et expérience auprès du conseil d’administration du CIRDIA. Par ailleurs, le premier conseil d’administration inclut un membre hospitalo-universitaire et/ou enseignant du DIU d’IA (en tant que conseiller médical/scientifique/règlementaire), un conseiller éthique/déontologique et un représentant des patients concernés. Bien entendu, le CIRDIA dispose d’un système d’astreinte 24/7 avec accès aux données des plateformes (avec bien entendu l’accord du patient dans le respect du RGPD), de RCP, d’un programme d’ETP. À noter que nous n’aurons aucun bénéfice financier en l’absence actuelle de cotation de l’acte de mise en place d’une BFH (ou même d’une pompe) avec des astreintes également bénévoles… Cela étant, la bonne formation initiale des utilisateurs devrait limiter de façon très importante le recours de ceux-ci à l’astreinte comme on le voit pour les mises sous pompe. La mise en place du CIRDIA demande un investissement important, mais l’objectif est vraiment d’élargir l’offre de soins en toute sécurité et de pouvoir ainsi poursuivre de façon optimale la prise en charge de nos patients DT1. »
Pouvoir poursuivre la pratique de l’insulinothérapie automatisée en libéral
« Il faut rappeler qu’à ce jour, aucun acte CCAM ni code NGAP ne permet de financer cette activité, en dehors de simples consultations. La mise en place d’une organisation, la formation, la multidisciplinarité feront que seuls des EDL très motivés se lanceront ; on n’a donc pas plus de risque d’avoir une augmentation importante du nombre de prescriptions en ouvrant le statut de centre initiateur aux EDL. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que le décret statuant sur le statut hospitaliser des centres initiateurs date de 2006, à une époque où encore beaucoup d’endocrinologues n’avaient pas été formés aux pompes à insuline, où les capteurs de glucose en continu n’existaient pas et où on ne pouvait pas faire de télésurveillance comme aujourd’hui.
Car c’est aussi l’avenir de l’endocrino-diabétologie qui se joue : pouvoir poursuivre la pratique de l’IA en libéral paraît être la condition sine qua non pour que nos jeunes internes s’installent, mais aussi pour que les médecins hospitaliers ne se retrouvent pas saturés par une activité aux dépens d’autres : du temps doit être libéré, notamment la prise en charge des patients très complexes et multi-compliqués qui nécessitent encore une expertise différente entre l’hôpital et la ville. Dans quelques années, il est probable que la majorité des personnes vivant avec un DT1 seront sous BFH (comme actuellement la majorité des patients sont sous mesure du glucose en continu) et l’absence de possibilité de prescrire la BFH en libéral risquerait de signifier la fin de la prise en charge des patients DT1 en libéral, ce qui serait dommage pour tous, les patients, en premier… »
Dr Didier Gouet (Centre hospitalier de La Rochelle), président du Codehg (Collège des diabétologues et endocrinologues des hôpitaux généraux)
Contexte
« Le service de diabétologie de La Rochelle travaille depuis fin 2020 sur le parcours de soins du patient DT1 mis sous BF. Notre optique est d’assurer cette mission de 3 mois dans les meilleures conditions humaines et techniques, et de faire en sorte que le diabétologue qui suivait le patient en amont le revoit en aval avec toutes les informations et connaissances nécessaires.
Quand ce diabétologue travaille au sein du centre initiateur (CI), un socle homogène de compétences est recherché. Le travail pluriprofessionnel le favorise. Dans nombre de cas, le suivi médical est assuré par un praticien libéral ou exerçant dans un centre hospitalier ne disposant pas des ressources du CI et ne répondant pas aux critères requis. »
Une RCP boucle fermée
« Il nous est rapidement apparu souhaitable de proposer des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) sur le sujet des BF pour une mise à jour régulière des procédures et des connaissances dans un esprit constructif de coopération respectueuse. Ces RCP sont faites une fois par mois en visioconférence. Elles regroupent les diabétologues de suivi et l’équipe du CI (praticiens, IDE, diététiciennes, psychologues, secrétaires). Elles permettent :
1) de présenter le patient en amont : qui est-il, quels sont ses souhaits, comment bien le prendre en charge et ainsi anticiper les difficultés ?
2) de vérifier les prérequis, s’orienter vers un système, et convenir qui fait quoi et quand.
3) de partager les parutions et informations, les retours d’expériences et les documents.
4) d’analyser les résultats, le déroulement de l’initiation de la BF, les points positifs et négatifs, le degré de satisfaction du patient, les problèmes rencontrés et la façon de les résoudre.
Ces “RCP BF” permettent de mobiliser autour du patient les ressources soignantes nécessaires. »
Les centres initiateurs
« Les critères requis pour être centre initiateur dans la position d’experts français sur la mise en place de l’insulinothérapie automatisée sont très souvent réunis pour nombre de services de diabétologie-endocrinologie-nutrition de centres hospitaliers généraux. Actuellement, une part importante des mises en boucle semi-fermée est donc logiquement assurée dans ces centres hospitaliers non universitaires, et ce, dans des conditions optimales de qualité des soins et de satisfaction des patients. C’est le cas pour le centre rochelais qui réunit une équipe médicale et paramédicale formée, stable et homogène (avec 5,3 ETP diabétologues, 6 IDE, 3 diététiciennes, 1 psychologue et du temps d’EMS), maîtrisant les outils de télésurveillance et les particularités de trois systèmes de boucle fermée (Smartguard™, Control-IQ™, Diabeloop), et assurant l’astreinte médicale 24 heures sur 24. Cette activité s’exerce ici en harmonie avec les autres diabétologues de suivi libéraux et hospitaliers. Il en est tout à fait de même en Nouvelle-Aquitaine pour Périgueux, Bayonne, Agen, Pau, Libourne, Marmande, Dax, Mont-de-Marsan, Niort et Lourdes. »
Le point de vue hospitalo-universitaire : Pr Hélène Hanaire (CHU Toulouse), ancienne présidente de la Société francophone du diabète
« L’accès à la boucle fermée, formidable avancée pour les patients DT1, est devenu possible avec le remboursement des deux premiers dispositifs (Diabeloop DBLG1™ en septembre 2021 et MiniMed™ 780G en avril 2022). L’enjeu pour nous tous est de permettre au maximum de patients d’accéder à ces dispositifs dans les conditions optimales d’efficacité et de sécurité. C’est dans ce contexte qu’a été proposée dès 2020 une prise de position de la SFD pour l’organisation des soins, l’initiation et le suivi du traitement par boucle fermée. Cette prise de position était issue d’une réflexion associant des diabétologues et des paramédicaux exerçant en CHU, en CHG et en libéral, intervenant en milieu adulte ou pédiatrique. L’objectif était de se préparer au mieux au déploiement de ce nouveau mode de traitement. Avec 2 ans de recul, où en sommes-nous ? »
Centre initiateur, centre de suivi
« Nous avons développé de longue date en Occitanie Ouest un groupe de travail, le GEDEC, qui associe les diabétologues investis dans les technologies du diabète, et exerçant dans différents environnements (CHU, CHG, clinique ou exercice isolé, médecine d’adultes, pédiatrie). Ceci nous a permis de développer largement le traitement par pompe dans la région, avec plusieurs centres initiateurs publics et privés susceptibles de commencer le traitement non seulement pour les patients qu’ils suivent, mais aussi pour des collègues qui ne disposent pas de l’infrastructure suffisante. C’est une coopération très fructueuse qui s’appuie sur une relation de confiance réciproque. La mise en place de la BF est finalement une “pompe plus”, et l’organisation régionale se décline pour nous selon le même modèle de coopération. Les diabétologues des centres de suivi posent l’indication et assurent le suivi au long cours, les centres initiateurs, qui disposent d’une équipe multiprofessionnelle, de l’astreinte H24 et de l’accueil en hospitalisation si besoin en urgence, mettent en place le traitement et assurent le suivi intensif des 3 premiers mois. »
Le parcours patient
« La préparation en amont de la mise en place de la boucle fermée est cruciale. Informer et former le patient, s’assurer que ses attentes sont réalistes et que l’indication est valide, vérifier son aisance pour la manipulation de la pompe, du capteur, des paramètres de l’insulinothérapie fonctionnelle, des plateformes de téléchargement… Ce temps de préparation indispensable met à contribution le diabétologue de proximité et le prestataire de santé à domicile et permet d’orienter au mieux le patient : quand tout est au vert (le patient a la bonne pompe, est à jour du bilan de surveillance notamment ophtalmologique, maîtrise l’ITF, le capteur et le téléchargement), tout peut aller très vite et la boucle est fermée en ambulatoire en une seule venue. Pour les patients moins familiers de l’ITF, qui ont besoin de plus de temps pour se familiariser avec l’ensemble des éléments du système et des réglages, qui habitent loin et pour lesquels venir plusieurs fois en peu de temps est compliqué, une formule en hospitalisation brève est proposée. Nous nous adaptons à chaque situation, la mise en place en ambulatoire étant la situation de loin la plus fréquente. Il ne faut pas sous-estimer le temps qu’il faut consacrer au suivi intensif des 3 premiers mois : une part importante de la réussite et de l’adhésion au dispositif de BF se joue dans cette période, et la fréquence des contacts, le plus souvent en téléconsultation, est déterminante. »
Une équipe multiprofessionnelle et une formation continue des acteurs de santé
« Pour l’initiation et le suivi des 3 premiers mois, nous mettons à profit la combinaison des compétences et des regards des médecins et de paramédicaux. Les médecins, infirmiers, IPA et diététiciens intervenant pour la mise en place de la BF dans notre centre se sont formés (à travers le DIU, auprès des fabricants, dans les réunions scientifiques), et des séances de formation régionales sont assurées deux fois par an, associant les équipes de centres initiateurs et les diabétologues de suivi de la région. C’est un formidable booster pour fédérer les énergies, partager les trucs et astuces, échanger sur les indications. C’est aussi un lieu d’échange sur l’évolution des pratiques et la découverte des nouveaux systèmes. »
Bilan
« La prise de position de la SFD a eu le mérite de camper le décor d’une organisation et d’un parcours de soins dans un objectif d’efficacité et de sécurité pour les patients DT1 qui commencent le traitement par BF. Les diabétologues et les paramédicaux investis dans le diabète doivent pleinement prendre leur place dans le développement de la BF en se formant et en s’organisant, pour assurer aux patients DT1 une équité d’accès à ce traitement qui va devenir la référence. »
Comment font nos voisins ?
Lors du récent congrès de l’ATTD à Berlin, le Pr Régis Radermecker, du CHU de Liège, a présenté l’organisation actuelle de la mise en place des BF en Belgique. Celle-ci est structurée par 27 centres hospitaliers à travers le pays, conventionnés “nouvelles technologies onéreuses” par les autorités de santé fédérales et bénéficiant d’un budget spécifique fixe (en fonction du nombre de patients suivis par centre, en particulier ceux traités par pompe à insuline). Exclusivement structurée sur ces 27 centres hospitaliers qui assurent la délivrance du matériel ainsi que l’éducation des patients concernés et leur suivi, cette organisation fait actuellement l’objet d’une étude observationnelle de vie réelle concernant les trois systèmes disponibles en Belgique : Medtronic™ 780G, Control-IQ™ et Diabeloop. En fonction des résultats de cette étude, la poursuite de la prise en charge financière de la BF en Belgique pourrait être remise en cause.
On le voit clairement ici, l’organisation proposée, exclusivement hospitalière, est beaucoup plus simple, homogène sur l’ensemble du territoire, mais elle exclut totalement la médecine libérale pour l’instant.
Qu’en dit le juriste ?
Interrogé sur la valeur juridique d’une position d’expert, un juriste strasbourgeois précise les éléments suivants : « En principe, une prise de position doctrinale ne revêt pas de valeur juridique. En ce sens, elle ne crée pas d’obligations pour les praticiens propres à engager leur responsabilité en cas de manquement aux consignes énoncées par une prise de position. Toutefois, la jurisprudence reconnaît que dans certaines circonstances des prises de position peuvent produire des effets juridiques. Il en va ainsi des recommandations de la Haute autorité de santé ainsi que des prises de position qui reflètent l’état dominant de la science sur un point et à un moment donné. » Article L. 162-12-15 du Code de la Sécurité sociale.
Conclusion et perspectives
En France, la grande diversité des conditions d’exercice (en cabinet libéral, en clinique privée, en centre hospitalier non universitaire, en centre hospitalier universitaire) associée à l’hétérogénéité des moyens humains (personnel médical et soignant, PSAD) rend l’application des recommandations pratiques des experts très différente d’un endroit à l’autre.
L’article récemment écrit par le Pr Sandrine Lablanche de Grenoble dans la revue Diabétologie pratique (2) rend bien compte de la complexité des situations et des difficultés rencontrées dans la mise en place de la BF en France.
Il est peut-être temps de simplifier ces recommandations pour permettre au plus grand nombre de patients DT1 et bientôt DT2 de pouvoir bénéficier d’un traitement qui transforme le pronostic de la maladie et améliore grandement la qualité de vie au quotidien, quelle que soit la zone géographique dans laquelle le patient vit. La position des experts français concernant la mise en place de l’insulinothérapie automatisée en boucle fermée en 2020 a permis de bâtir le socle sur lequel ce traitement doit se construire. L’actualisation de cette prise de position, attendue par beaucoup de professionnels et de patients, devrait idéalement permettre de faciliter l’accès au plus grand nombre de sujets concernés en simplifiant le parcours de soins et les conditions d’initiation. L’accumulation d’expériences de terrain allant dans ce sens doit en être le moteur.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en relation avec l’article.
Bibliographie
1. Franc S, Schaepelynck P, Tubiana-Rufin N et al. Mise en place de l’insulinothérapie automatisée en boucle fermée : position d’experts français. Med Mal Met 2020 ; 14 : S1.
2. Lablanche S. Organisation et parcours de soins lors de l’initiation d’une boucle fermée chez l’adulte. Diabétol Prat 2022 ; 88 : 9-11.