Longtemps attendues, les boucles fermées sont enfin disponibles. Comme les études le montrent, elles permettent de réels bénéfices, en termes métaboliques et de qualité de vie, pour les patients, mais s’adressent-elles à tous les patients ? Et quelles sont les conditions pour en bénéficier de manière optimale ?
Qu’est-ce qu’on peut en attendre ?
Pr Hélène Hanaire : Les données, récoltées ces 10 dernières années dans les essais cliniques randomisés, sont claires, et elles sont confirmées par les études en vraie vie. Les bénéfices sont d’une part métaboliques. Les boucles fermées permettent d’obtenir un temps dans la cible de l’ordre de 75 %, ce que nous avons beaucoup de mal à obtenir malgré les traitements sophistiqués et tous les efforts que font les patients. Cela correspond à 10-15 % d’augmentation par rapport à la boucle ouverte, et c’est remarquable. De plus, ce bénéfice est observé assez rapidement après la mise en route du dispositif et il est durable. Dans le même temps, le temps passé en hypo-
glycémie est largement réduit, divisé par deux en moyenne. Ainsi, les patients passent moins d’une demi-heure par jour en hypoglycémie. C’est un progrès énorme. Et tout ceci est obtenu dans des conditions de sécurité qui sont également prouvées, avec très peu d’événements indésirables. D’autre part, les patients évoquent un allègement non négligeable de leur charge mentale ; et cela commence également à ressortir dans les publications. Nous observons notamment un retour à un sommeil plus normal pour les patients qui ont un diabète de type 1,
mais aussi pour les parents d’enfants qui ont un diabète de type 1. Les patients (et parents) ont beaucoup plus confiance dans le fait que la nuit se passera bien, qu’il n’y aura pas d’hypoglycémie et qu’au réveil la glycémie sera à l’objectif. C’est très réconfortant et très rassurant pour les patients. Pour résumer, nous avons donc des effets métaboliques et un allègement de la charge mentale. Et ceci est vrai avec tous les systèmes et à tous les âges de la vie qui ont été testés : chez les enfants, chez les adolescents, chez les adultes et chez les personnes un peu plus âgées.
Les patients arrivent-ils à s’en saisir facilement ?
Ils arrivent à s’en saisir assez bien, s’ils y sont bien préparés. C’est là qu’il faut être vigilant. En effet, des patients qui imaginent que c’est un dispositif qui marche complètement tout seul, tout le temps, et qu’ils n’auront plus rien à faire, vont être déçus. Car ce n’est pas tout à fait le cas. Il s’agit notamment d’annoncer les repas et les activités physiques, avec une certaine précision, et aussi de télécharger les données régulièrement. Nous, soignants, qui sommes très enthousiastes de la mise à disposition de ces nouveaux systèmes, devons vraiment expliquer aux patients, en plus des remarquables effets positifs, les contraintes. Les patients doivent les connaître et être d’accord pour les assumer. Sinon, il y aura des déceptions. Ainsi, plusieurs aspects sont à évoquer. Les patients doivent maîtriser l’insulinothérapie fonctionnelle et être capables de repérer précisément les apports en glucides et de les annoncer au système. Cette préparation préalable est très importante, c’est du temps de gagné pour la réussite du système. De plus, les patients doivent savoir se servir correctement de la pompe et être capables de repérer des éventuelles défaillances, comme un cathéter qui se bouche, car c’est dangereux. De même, ils doivent être capables de manipuler le capteur et de télécharger leurs données, car nous en avons besoin pour assurer le suivi et veiller à l’efficacité et à la sécurité du dispositif. Tout cet apprentissage est un prérequis indispensable pour un fonctionnement sûr et optimal. Les patients doivent accepter ces contraintes. Finalement, je pense, que le traitement par boucle fermée constitue un prolongement, une évolution du traitement par pompe à insuline.
À qui s’adressent les dispositifs de boucle fermée ?
Les indications sont contraintes par les remboursements des dispositifs. Aujourd’hui, en France, deux dispositifs sont remboursés (DBLG1 de Diabeloop et MiniMed 780 G) et un troisième est en voie de l’être (Tandem Control IQ). Pour ces systèmes, il est demandé que les patients soient déjà traités par pompe depuis au moins 6 mois, ce qui garantit une certaine aisance avec le matériel notamment. Ensuite, il y a quelques différences selon les fournisseurs. Le dispositif de Diabeloop est indiqué pour une HbA1C supérieure à 8 %. Pour la pompe MiniMed 780 G, il faut pouvoir attester d’un équilibre non atteint, mais qui n’implique pas nécessairement un niveau d’HbA1C, cela peut être en termes de temps dans la cible ou d’hypoglycémie. Il y a également des critères d’âge : plus de 18 ans pour le système Diabeloop, plus de 7 ans pour celui de Medtronic. Concernant Tamdem Control IQ, qui a obtenu au mois de mai un avis favorable de la CNEDIMTS et dont le remboursement ne devrait pas tarder, en plus de bénéficier d’un traitement par pompe depuis au moins 6 mois comme les deux autres dispositifs, les patients doivent avoir plus de 6 ans et une HbA1C supérieure à 8 %. D’autres dispositifs devraient obtenir un remboursement dans les mois et années à venir, avec des indications plus ou moins larges.
Est-ce qu’il existe des contre-indications ? Des points de vigilance particuliers ?
Il faut être prudent chez les patients pour qui normaliser rapidement la glycémie peut être dangereux ; en cas de rétinopathie par exemple. Un examen de fond d’œil doit être réalisé, et il est important de stabiliser une éventuelle rétinopathie avant la mise en route de la boucle fermée. Par ailleurs, comme évoqué précédemment, il est important que les patients soient vraiment disposés à utiliser le système de manière optimale afin de pouvoir bénéficier d’une prise en charge de qualité. Les contraintes des dispositifs doivent être clairement comprises et acceptées. Par exemple, le système MiniMed 780 G nécessite encore des glycémies capillaires de calibration (ce qui devrait bientôt ne plus être le cas), il faut en être conscients. De même, certains patients sont attachés aux pompes patch, pour des raisons de confort et de visibilité moindre. Accepteront-ils une pompe avec tubulure s’il s’agit du modèle indiqué dans leur situation ?
Il s’agit de peser les pour et les contre ensemble avant de décider la mise en route d’une boucle fermée. En termes de précautions d’emploi, je pense aussi aux patients qui auraient eu des ruptures de suivi et/ou de traitement. Sommes-nous sûrs de leur engagement à terme dans la boucle fermée ? Il faut essayer de s’en assurer.
Aujourd’hui, les indications sont ainsi et ces contraintes existent, mais cela devrait évoluer, tout comme l’ergonomie des dispositifs.
Les patients étaient vraiment en attente d’un tel dispositif, mais certains l’ont peut-être un peu “surestimé”, il n’est pas adapté pour tout le monde. Nous allons devoir organiser des consultations d’information : qu’est-ce que c’est ? À quoi peut-on s’attendre ? Est-ce que c’est vraiment pour moi ? Est-ce que je vais y arriver ?
D’un autre côté, nous avons aussi des patients qui se débrouillent très bien sous pompe “classique”, certes avec une charge mentale importante (ils ajustent sans arrêt leur pompe, ils font leur boucle fermée tout seuls !), mais avec de très bons résultats. Il faut les amener vers le lâcher-prise, laisser la machine faire à leur place, et qu’ils acceptent que le dispositif ne fera peut-être pas mieux que ce qu’ils arrivaient à obtenir tout seuls. Et ce n’est pas facile. Certains préfèrent ne pas passer à la boucle fermée et continuer à se lever deux fois par nuit pour ajuster.
Donc, il faut vraiment faire attention à cela, ne pas surjouer. Oui c’est fantastique, c’est vrai, et les résultats métaboliques vont être supers. Mais ce n’est peut-être pas adapté à tous les patients. Pour ne pas se tromper, il est vraiment indispensable que l’information soit la plus honnête possible et que le dispositif soit adapté aux attentes du patient.
Les boucles fermées sont-elles adaptées pour la pratique de l’activité physique ?
Bien évidemment, dans le diabète, tout est plus facile quand on ne fait rien… Quand on mange et quand on pratique une activité physique, c’est un peu plus compliqué ! Mais chacun de ces dispositifs propose un réglage particulier pour les périodes d’activité physique. Ce réglage permet de déterminer une cible de glycémie un petit peu plus haute afin d’éviter le risque hypoglycémique. Donc oui, on peut porter une boucle fermée quand on fait de l’activité physique. Il faut tout de même penser à le signaler au dispositif.
Et pour les sportifs de haut niveau ?
Ces systèmes n’ont pas été testés chez les sportifs de haut niveau. Ces patients, un peu “hors norme”, quand ils portent une pompe, trouvent des solutions d’ajustement et d’adaptation qui conviennent à leur mode de vie particulier. Actuellement, je ne suis pas de sportifs de haut niveau avec des boucles fermées. Pour l’instant, ces dispositifs ne sont pas vraiment destinés à des changements très importants de besoin d’un jour à l’autre comme cela peut être le cas pour des sportifs de haut niveau, mais cela reste un champ à explorer.
Comment s’organise la mise en place des boucles fermées ?
En premier lieu, nous, professionnels, devons nous former. Il y a d’abord la formation technique, qui est délivrée par les fabricants, parce que chaque système est différent et que les réglages nécessaires le sont également. Puis, nous nous formons aussi à former les patients et à organiser les programmes d’éducation thérapeutique dans lesquels nous allons les accompagner pour acquérir les compétences requises. En termes pratiques, les équipes en charge des mises en route des boucles s’organisent sur des modèles un peu différents selon les ressources dont elles disposent et la culture propre à chaque centre. D’une manière générale, l’étape préalable est la formation à l’insulinothérapie fonctionnelle avec éventuellement un changement de matériel selon le modèle de pompe. Cela comprend tout ce qui est relatif au comptage des glucides, aux ratios glucides/insuline, aux réglages de la pompe, au fonctionnement de l’algorithme afin de bien comprendre les ajustements qui peuvent être faits selon le dispositif (modifier la cible, la durée d’action de l’insuline…). Il s’agit d’une formation assez complète, assez technique. La mise en route du système de boucle fermée à proprement parler se fait en fonction des aptitudes d’apprentissage des patients et des habitudes des équipes. Elle peut se faire en hospitalisation de jour (en une ou deux fois), ou au cours d’une hospitalisation, mais qui est assez brève généralement. Comme le précise le texte de loi relatif aux remboursements des boucles fermées, les 3 premiers mois de suivi doivent être réalisés dans le centre initiateur. Nous effectuons une réévaluation à 1 mois, puis une autre à 3 mois. Entre les deux, nous analysons les résultats disponibles sur les plateformes de manière très serrée, toutes les semaines au début ; d’où l’importance que les patients téléchargent bien leurs données. Et nous organisons des téléconsultations ou des consultations présentielles pour ajuster avec les patients afin d’essayer de tirer le maximum du dispositif. Dans le deuxième et le troisième mois, le suivi commence à s’alléger, toujours selon les besoins des patients. À 3 mois, on se met d’accord avec le patient pour poursuivre de façon durable l’utilisation de la boucle fermée.
Tous les établissements peuvent-ils réaliser des mises en route de boucle fermée ?
Les centres initiateurs au sens du texte de loi concernant le traitement par pompe à insuline sont des centres dans lesquels il y a au moins deux médecins spécialistes, un infirmier, un diététicien. Ce sont des centres qui ont l’habitude de faire de l’éducation thérapeutique, avec une file active suffisante, et donc un certain nombre de mises en route annuelles, une astreinte diabétologique 24 h sur 24 et un service d’accueil des urgences à proximité pour les urgences diabétologiques. Il faut donc un environnement multiprofessionnel assez solide. Dans notre service par exemple, nous avons une équipe dédiée aux boucles fermées avec plusieurs médecins, plusieurs infirmières, en hospitalisation et en hospitalisation de jour, un infirmier en pratique avancée et toutes les diététiciennes du service sont formées à ces dispositifs. Et nous sommes dans une démarche de formation des partenaires au niveau régional, des médecins et des paramédicaux des hôpitaux des départements de notre région, pour avoir vraiment une culture commune et la partager. Pour les cas particuliers, pour les doutes, pour les hésitations en termes d’indications par exemple… nous mettons en place des RCP régionales afin de discuter ensemble de la situation et de décider de la suite à donner.
Parallèlement, sous l’égide de la SFD, un observatoire de la boucle fermée va être mis en place, afin d’accompagner les centres.
Et le suivi au-delà de 3 mois ?
Concernant le suivi, comme d’autres centres, nous travaillons en partenariat avec les diabétologues de ville, parce que nous n’avons pas vocation à suivre tous les patients et surtout il n’est pas question de priver les personnes diabétiques d’un suivi de proximité et les diabétologues d’une technologie si innovante. Nous travaillons donc sur le passage de témoin entre le centre initiateur et le diabétologue de suivi dans le courant de ce premier trimestre et pour la suite. Il s’agit alors d’un suivi “normal”, c’est-à-dire adapté aux besoins du patient. Pour certains, ce sera tous les 3 mois, pour d’autres, 6 mois, comme pour tout diabétique de type 1 traité par pompe. Une réévaluation en centre initiateur est prévue tous les ans. Cela permet de s’assurer que tout fonctionne correctement, d’ajuster si besoin et de montrer les nouveautés technologiques le cas échéant.
Hélène Hanaire déclare avoir les liens d’intérêt suivants : invitations à des congrès : Lilly, Abbott, MSD, Sanofi, Astra Zeneca, Isis ; expert scientifique ou conférencier : Insulet, Abbott, AstraZeneca, Novo Nordisk, Lilly, Sanofi, Lifescan, Medtronic ; soutien à la recherche : Novo Nordisk, Lifescan, Abbott, Sanofi.