La prescription des inhibiteurs de SGLT2 (iSGLT2) ou gliflozines est remboursée en France par l’Assurance maladie depuis le premier semestre 2020. Initialement réservés aux patients diabétiques de type 2 (DT2), les iSGLT2 ont vu leurs indications étendues ces dernières années aux patients porteurs d’une insuffisance cardiaque et/ou d’une maladie rénale chronique avec ou sans diabète.
Le mode d’action qui a présidé au développement des iSGLT2 est leurs propriétés d’inhibition d’un canal de transport du sodium et du glucose présent sur le tubule rénal proximal. Ces canaux, appelés SGLT2, sont responsables de la réabsorption d’environ 90 % du glucose et de 65 % du sodium initialement présent dans la pré-urine. Leur inhibition va donc favoriser la glycosurie et la natriurèse, ce qui aura pour effet, assez logiquement, d’entraîner une diminution de la glycémie et une diminution de la volémie.
Effets cardioprotecteur et néphroprotecteur des iSGLT2
Chez les patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire
L’effet cardioprotecteur
Entre 2015 et 2018, la communauté médicale a pris connaissance des résultats de trois essais thérapeutiques randomisés testant un inhibiteur de SGLT2 chez des patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire (CV). Les résultats de ces trois grandes études cliniques montrent de façon très intéressante une réduction des événements cardiovasculaires, notamment des événements ischémiques (infarctus du myocarde (IDM), accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, décès cardiovasculaire) et surtout une réduction importante et significative des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (Tab. 1).
L’effet néphroprotecteur
Dans une méta-analyse, ces mêmes études cliniques ont montré sans ambiguïté une néphroprotection significative chez les patients recevant un iSGLT2 avec une réduction significative du risque d’événements rénaux aigus sévères (dialyse, transplantation, décès de cause rénale) (1).
Des effets indépendants du contrôle glycémique
Dans ces études, les patients recevant un iSGLT2 voyaient leur hémoglobine glyquée un peu plus basse que celle des patients du groupe contrôle et accusaient également une perte de poids d’environ 2 kg. Ces bénéfices n’expliquent pas à eux seuls la réduction des événements cardiaques et rénaux décrits précédemment. Il est même notable que les effets cardiaques et rénaux ont été aujourd’hui décrits chez des patients non diabétiques et que l’on peut ainsi affirmer que les effets néphroprotecteurs et cardioprotecteurs des iSGLT2 sont très largement indépendants de leur effet sur le contrôle de la glycémie.
C’est à la suite de la publication de ces études que les iSGLT2 ont été recommandés en première ligne à niveau de preuve égal avec les agonistes des récepteurs au GLP1 chez les patients diabétiques porteurs d’une maladie cardiovasculaire liée à l’athérosclérose dans les recommandations 2019 de la Société européenne de cardiologie (2).
Chez les patients insuffisants cardiaques à fraction d’éjection ventriculaire gauche altérée
L’observation inattendue par son ampleur d’un effet protecteur des iSGLT2 sur le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque des patients diabétiques à haut risque a motivé la mise en place de nouvelles études cliniques testant l’efficacité des iSGLT2 chez les patients porteurs d’une insuffisance cardiaque avec ou sans diabète.
Les effets cardioprotecteur et néphroprotecteur
Ce sont les études DAPA-HF et EMPEROR REDUCED qui, dans premier temps, ont montré une réduction significative des événements cardiovasculaires chez les patients porteurs d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée. On observe dans la méta-analyse de ces deux études :
• une réduction significative de la mortalité totale de 13 %,
• une réduction du critère décès cardiovasculaires ou première hospitalisation pour insuffisance cardiaque de 26 %,
• et une réduction de 38 % du critère aggravation rénale qui associait soit une réduction du débit de filtration glomérulaire (DFG) de plus de 50 %, soit l’apparition d’une insuffisance rénale terminale (3).
Il faut également remarquer que l’effet néphroprotecteur des iSGLT2 dans ces études chez les patients insuffisants cardiaques à FEVG altérée est retrouvé de façon comparable chez les patients avec ou sans diabète connu à l’inclusion.
Le profil de tolérance
Au bénéfice indiscutable de cette nouvelle classe thérapeutique chez les patients insuffisants cardiaques à FEVG altérée s’associe un excellent profil de tolérance sans aucun signal de sécurité observé, que ce soit en termes d’insuffisance rénale, d’acidocétoses, d’hypoglycémies, d’amputations, de fractures, ou d’infections des tissus sous-cutanés.
C’est à la suite de ces publications que les iSGLT2 ont fait leur entrée dans le traitement pharmacologique de première ligne proposé aux patients insuffisants cardiaques avec FEVG altérée (FEVG ≤ 40 %), quel que soit leur statut diabétique, dans les recommandations de la Société européenne de cardiologie publiées en 2021 (4). Dans ces recommandations, les iSGLT2 sont associés aux trois autres classes thérapeutiques socles de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée, à savoir les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou sacubitril/valsartan, les bêta-bloqueurs et les inhibiteurs des récepteurs aux minéralocorticoïdes.
Les modalités d’introduction des différentes classes thérapeutiques
Les modalités d’introduction de ces quatre classes thérapeutiques chez les patients porteurs d’insuffisance cardiaque à FEVG altérée restent aujourd’hui débattues. Les données des publications récentes convergent aujourd’hui vers la proposition d’une introduction rapide des quatre classes thérapeutiques, en privilégiant l’association initiale de faibles doses, sauf pour les iSGLT2, puisque que la dose unique de 10 mg par jour est recommandée sans titration que ce soit pour la dapagliflozine ou l’empagliflozine.
Actuellement, en dehors d’une intolérance connue à la molécule et des précautions d’emploi classiques, la seule limite à l’utilisation des iSGLT2 chez le patient insuffisant cardiaque à FEVG altérée reste un débit de filtration glomérulaire < 25 ml/min pour la dapagliflozine et < 20 ml/min pour l’empagliflozine.
Chez les patients insuffisants cardiaques à fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée
L’efficacité des iSGLT2 a notamment été remarquée chez les patients porteurs d’insuffisance cardiaque à FEVG préservée (FEVG ≥ 50 %) ou modérément altérée (FEVG 41-49 %). Si les recommandations en 2019 de la Société européenne de cardiologie ne donnaient aucun niveau de recommandation pour les iSGLT2 chez ces patients, depuis, les résultats de deux études cliniques ont montré le bénéfice indiscutable des iSGLT2 chez les patients porteurs d’une insuffisance cardiaque avec une FECG > 40 %.
Les effets cardioprotecteur et néphroprotecteur
Ce sont les études EMPEROR PRESERVED et DELIVER qui ont randomisé des patients porteurs d’une insuffisance cardiaque symptomatique (NYHA classe II à IV) avec FEVG modérément altérée ou normale associée à des anomalies structurelles du myocarde (hypertrophie ventriculaire gauche et/ou dilatation de l’oreillette gauche) et à une élévation des peptides natriurétiques (NT pro-BNP). La méta-analyse de ces deux études qui sont positives montre un résultat tout à fait remarquable puisque, chez ces patients, il est observé une réduction de 20 % du critère majeur qui associait décès cardiovasculaire ou première hospitalisation pour insuffisance cardiaque (5). Ce bénéfice était retrouvé dans tous les sous-groupes de patients, y compris ceux dont la FEVG était normale avec, là encore, un profil de tolérance très rassurant. Les résultats des iSGLT2 chez les patients insuffisants cardiaques à FEVG préservée sont d’autant plus remarquables que, jusqu’à présent, toutes les autres classes thérapeutiques classiquement recommandées dans l’insuffisance cardiaque FEVG altérée avaient échoué à montrer un bénéfice clinique significatif sur les critères cliniques majeurs dans les essais thérapeutiques.
Ainsi, les iSGLT2 sont la première classe thérapeutique ayant montré un niveau de preuve significatif avec un effet classe dans cette catégorie de patients qui représentent aujourd’hui au moins la moitié des patients pris en charge pour insuffisance cardiaque. Les recommandations des sociétés nord-américaines de cardiologie, publiées au printemps 2022, proposent d’ailleurs la prescription des iSGLT2 chez les patients porteurs d’une insuffisance cardiaque à FEVG préservée. Il est probable que les iSGLT2 fassent leur entrée dans les prochaines recommandations de la Société européenne de cardiologie chez ces mêmes patients.
Chez les patients malades rénaux chroniques
Le syndrome cardio-rénal, très largement décrit chez les patients diabétiques, mais également chez les patients porteurs d’une insuffisance rénale et/ou d’une insuffisance cardiaque, est un facteur pronostique majeur pour cette population à très haut risque. Compte tenu des effets néphroprotecteurs et cardioprotecteurs des iSGLT2 précédemment décrits, des essais cliniques ont également été mis en place pour tester cet effet chez les patients porteurs d’une maladie rénale chronique avec ou sans diabète ou insuffisance cardiaque associée.
Les effets cardioprotecteur et néphroprotecteur
Ce sont les études DAPA-CKD et EMPA-KIDNEY qui ont inclus des patients ayant un DFG abaissé associé à une élévation du rapport albumine/créatinine urinaire. Ces deux études ont conclu à un effet néphroprotecteur des iSGLT2 chez ces patients déjà porteurs d’une maladie rénale, mais également à une réduction des événements cardiovasculaires. Une méta-analyse, récemment publiée dans The Lancet, conclut au bénéfice des iSGLT2 chez les patients porteurs de maladie rénale chronique, quels que soient le statut diabétique, l’étiologie de la maladie rénale, ou le niveau de dégradation de la fonction rénale (6).
Mécanismes connus expliquant les effets cardioprotecteur et néphroprotecteur des iSGLT2
L’effet néphroprotecteur
Chez les patients diabétiques de type 2, le blocage des canaux SGLT2 au niveau du tubule rénal proximal aura plusieurs effets potentiellement bénéfiques sur le rein diabétique :
• réduction de la pression artérielle,
• réduction de la vasodilatation de l’artériole efférente,
• réduction de l’inflammation et de la fibrose,
• réduction de l’hypoxie tubulaire (7).
L’effet cardioprotecteur
L’effet cardioprotecteur est plus difficile à expliquer compte tenu de l’absence de récepteur SGLT2 observé sur les cellules cardiaques. Plusieurs mécanismes ont été avancés pour expliquer ce bénéfice des iSGLT2 sur le cœur défaillant :
• des effets hémodynamiques en lien avec la diminution de la volémie liée à l’effet diurétique des iSGLT2 avec diminution de la pression artérielle ;
• des effets sur les métabolismes énergétiques avec une augmentation de la disponibilité des corps cétoniques qui sont un substrat énergétique de substitution pour le cœur défaillant ;
• enfin, des actions directes sur les cellules cardiaques avec l’activation de certaines voies de signalisation comme les échangeurs sodium/protons, les MAP kinases et plus récemment une augmentation de l’autophagie favorisant une réduction du stress cellulaire (8, 9).
Ces différents mécanismes expliquent en partie la réduction des événements cardiaques et des événements rénaux dont on sait qu’ils alimentent chacun de leur côté le syndrome cardio-rénal, lui-même vecteur d’aggravation du fonctionnement de ces deux organes et du pronostic des patients.
Place et utilisation des iSGLT2 chez les patients à haut risque et perspectives
Les recommandations
En 2023, les iSGLT2 ont des recommandations de haut niveau :
• chez les patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire,
• chez les patients porteurs d’une insuffisance cardiaque, quel que soit le niveau du FEVG et quel que soit le statut diabétique,
• et chez les patients malades rénaux chroniques ayant un rapport albumine/créatinine urinaire élevée indépendamment également de leur statut diabétique.
Les précautions d’emploi
Le profil de tolérance de cette classe thérapeutique est excellent, avec toutefois une précaution d’emploi chez les patients porteurs d’une altération sévère du DFG. Le risque d’acidocétose euglycémique a également été décrit chez les patients diabétiques et il faut se méfier d’un éventuel tableau d’insulinopénie non identifié comme on peut le rencontrer chez les patients porteurs d’un diabète de type 1 lent. Enfin, la complication la plus fréquente et, classiquement, le plus souvent bénigne, est le risque d’infection urogénitale. Il est recommandé d’informer le patient de ce risque lors de l’initiation du traitement par iSGLT2 et de la conduite à tenir en cas de symptômes suspects, afin qu’il puisse consulter pour bénéficier d’un traitement curatif généralement court, efficace et bien toléré.
Conclusion
Compte tenu du bénéfice clinique des iSGLT2 chez ces patients à haut risque néphrologique et cardiovasculaire, il semble important d’insister sur la lutte contre l’inertie thérapeutique. En dehors des situations d’hospitalisation pour décompensations cardiaques ou aggravation d’une insuffisance rénale, il est important que les praticiens, lorsqu’ils voient les patients en consultation, aient le réflexe d’introduire cette classe thérapeutique, même si le patient ne présente pas de symptômes de décompensation cardiaque ou rénale récente.
Des études cliniques sont en cours pour tester l’efficacité des iSGLT2 chez les patients en post-infarctus du myocarde immédiat avec FEVG altérée, chez les patients dialysés ou en post-transplantation cardiaque et/ou rénale.
L’auteur déclare avoir des liens d’intérêt avec Amarin, Amgen, AstraZeneca, Alnylam, Bayer, Boehringher, BMS, Bouchara Recordatti, Pfizer, Novartis, Novo Nordisk, Organon, Sanofi, Servier, Vifor.
Bibliographie
1. Neuen BL, Young T, Heerspink HJL et al. SGLT2 inhibitors for the prevention of kidney failure in patients with type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis. Lancet Diabetes Endocrinol 2019 ; 7 : 845-54.
2. Cosentino F, Grant PJ, Aboyans V et al. 2019 ESC Guidelines on diabetes, pre-diabetes, and cardiovascular diseases developed in collaboration with the EASD. Eur Heart J 2020 ; 41 : 255-323.
3. Zanad F, Ferreira JP, Pocock SJ et al. SGLT2 inhibitors in patients with heart failure with reduced ejection fraction: a meta-analysis of the EMPEROR-Reduced and DAPA-HF trials. Lancet 2020 ; 396 : 819-29.
4. McDonagh TA, Metra M, Adamo M et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J 2021 ; 42 : 3599-726.
5. Vaduganathan M, Docherty KF, Claggett BL et al. SGLT-2 inhibitors in patients with heart failure: a comprehensive meta-analysis of five randomised controlled trials. Lancet 2022 ; 400 : 757-67.
6. Nuffield Department of Population Health Renal Studies Group. Impact of diabetes on the effects of sodium glucose co-transporter-2 inhibitors on kidney outcomes: collaborative meta-analysis of large placebo-controlled trials. Lancet 2022 ; 400 : 1788-801.
7. Zelniker TA, Braunwald E. Mechanisms of cardiorenal effects of sodium-glucose cotransporter 2 inhibitors: JACC state-of-the-art review. J Am Coll Cardiol 2020 ; 75 : 422-34.
8. Braunwald E. Gliflozins in the management of cardiovascular disease. N Engl J Med 2022 ; 386 : 2024-34.
9. Packer M. Critical reanalysis of the mechanisms underlying the cardiorenal benefits of SGLT2 inhibitors and reaffirmation of the nutrient deprivation signaling/autophagy hypothesis. Circulation 2022 ; 146 : 1383-405.