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Adomed webinaire juillet 2025
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Troubles du comportement alimentaire : quelles répercussions bucco-dentaires ?

Les troubles du comportement alimentaire (TCA), qui regroupent l’anorexie mentale, la boulimie nerveuse et l’hyperphagie boulimique, sont des affections caractérisées par des désordres psychopathologiques qui affectent la relation des patients avec la nourriture et leur vision de leur corps à travers des habitudes alimentaires déséquilibrées. Les TCA sont particulièrement fréquents dans le diabète de type 1 et l’obésité (1-3). La prise en charge bucco-dentaire de ces patients est un enjeu majeur compte tenu de l’association entre ces pathologies et leurs répercussions bucco-dentaires. Les restrictions alimentaires, les phénomènes purgatifs, ou encore les prises alimentaires répétées dans la journée contribuent à une mauvaise santé orale pouvant entraîner des doléances esthétiques et fonctionnelles.

Nous allons aborder dans cet article les manifestations orales ou extra-orales pouvant être retrouvées chez les patients atteints de TCA. Elles concernent les glandes salivaires, les muqueuses, les tissus parodontaux et les dents. Nous décrirons également la prise en charge de ces affections et des conseils bucco-dentaires pouvant être transmis à ces patients.

 

Les TCA modifient l’environnement de la cavité orale, son microbiote et cela va avoir des répercussions sur les tissus dentaires et environnants. Selon le trouble du comportement alimentaire (anorexie mentale, boulimie nerveuse, hyperphagie boulimique), le tableau clinique des répercussions bucco-dentaires peut varier. Le tableau 1 résume les différentes répercussions bucco-dentaires que l’on peut retrouver chez les patients atteints de TCA, elles seront détaillées dans cet article.  

 

Les lésions salivaires

Rôles de la salive

La salive a une influence majeure sur le microbiote oral et participe au maintien de l’homéostasie buccale. Elle a un rôle protecteur par son action lubrifiante sur les muqueuses et les dents et son pouvoir tampon. La salive permet de maintenir un pH physiologique malgré les nombreuses variations liées à la prise alimentaire, mais aussi à l’acidité produite par les bactéries. Elle transporte des ions essentiels tels que le fluor, le calcium et le phosphate, nécessaires à la reminéralisation de l’émail après une attaque acide. De plus, elle a des propriétés antimicrobiennes par la sécrétion d’un fluide enrichi en agents immunologiques (IgA, IgG, IgM, mais aussi lysozyme, lactoferrine, mucines…). Enfin, le renouvellement du flux salivaire assure un nettoyage des surfaces dentaires et muqueuses en éliminant la flore polymicrobienne (4-8). 

Effets des TCA

Les personnes atteintes de TCA ont un flux salivaire diminué par la prise d’antidépresseurs souvent retrouvée chez ces patients et par une activité physique intense dans le cadre d’un comportement compensatoire extrême (9, 10). De manière plus rare, en conséquence des vomissements provoqués, des gonflements des glandes salivaires, notamment de la parotide (rarement submandibulaire), peuvent s’observer chez ces patients, ainsi qu’une sensibilité gustative qui peut être réduite transitoirement par diminution du flux salivaire et attaque acide des papilles gustatives (11, 12). 

Prise en charge

• L’application de substituts salivaires sous forme de gel ou de spray buccaux peut aider à la lubrification des muqueuses et diminuer la sensation de bouche sèche. 

• De plus, la mastication de chewing-gums sans sucre stimule la production réflexe de la salive (4). 

 

Les lésions muqueuses

Les lésions muqueuses retrouvées chez les patients souffrant de TCA sont la conséquence de traumatismes iatrogènes ou de carences nutritionnelles (vitamines B, C, fer).

Les irritations chroniques et les blessures

Les irritations chroniques dues à des vomissements répétés ainsi que la stimulation du réflexe nauséeux par des objets ou par les doigts provoquent des blessures par irritation mécanique au niveau du palais et des muqueuses buccales (ulcérations, érosion, plages érythémateuses…) (Fig. 1a et 1b). De plus, l’acidité gastrique entretient ces blessures et retarde la cicatrisation. 

Figure 1 – a. Lésion érosive sur le palais mou après stimulation excessive du réflexe nauséeux. b) Ulcération du palais dur causée par le doigt lors de la stimulation du réflexe nauséeux. c) Chéilite angulaire (17).

Les carences nutritionnelles

• Des carences en vitamines B peuvent être associées à des érosions, des vésicules, des glossites, des stomatites, des gingivites, une dermite, une perlèche ou encore des ulcérations gingivales (13, 14). 

• Une carence en vitamine C se traduit par des muqueuses turgescentes avec des saignements spontanés (15, 16). 

• Une carence en vitamine B12 peut engendrer des brûlures au niveau de la langue, communément appelées la glossodynie. 

De plus, ces carences nutritionnelles diminuent le potentiel régénératif des muqueuses et peuvent favoriser l’installation d’infections opportunistes comme la candidose, une infection fongique dont la forme la plus commune est la chéilite angulaire (17) (Fig. 1c). 

Prise en charge

• Une hygiène bucco-dentaire satisfaisante à raison d’un brossage au moins deux fois par jour avec l’utilisation de bain de bouche une fois par jour ainsi que la supplémentation en vitamines B (B1, B2, B3, B5, B6, B8) et C permettront de réduire la fréquence d’apparition de ces lésions. 

• Ces blessures étant souvent douloureuses, un traitement symptomatique comme l’application de gel buccal (Pansoral® ou Elugel®) soulage le patient, aide à la cicatrisation et évite les surinfections. 

• Dans le cas de la présence d’une pathologie fongique, un traitement local topique d’antifongiques sous forme de gels ou bains de bouche pourra être prescrit (nystatine (Mycostatine®), amphotéricine B (Fungizone®), miconazole (Daktarin®, Loramyc®)).

 

Les lésions parodontales

Le parodonte est l’ensemble des tissus de soutien de la dent qui se compose de l’os, des gencives et du ligament qui entoure la dent. 

Les carences nutritionnelles

Les carences nutritionnelles en vitamines B, C et D, retrouvées chez les patients souffrant de TCA, peuvent avoir des conséquences sur le support parodontal des dents : atteintes gingivales et/ou osseuses (18). 

• Un déficit important en vitamine C se manifeste par une gencive œdémateuse hypertrophique, turgescente et hémorragique. 

• Une carence en vitamine D peut engendrer une baisse de la densité minérale osseuse (DMO), ce qui est associé à un risque plus élevé de parodontite par la perte de l’os alvéolaire (19-21). 

• Une concentration sérique basse de vitamines B9 et B12 est associée à une prévalence plus importante de parodontite (22, 23). 

 

Les lésions dentaires

Les lésions dentaires regroupent les érosions, les péri-mylolyses et les lésions carieuses. 

Les érosions

Les érosions sont définies comme la destruction de l’émail, par un processus de déminéralisation par attaque acide sans cause bactérienne.

Les érosions d’origine intrinsèque

Les érosions peuvent être d’origine intrinsèque avec pour cause l’acidité des comportements de purge et donc des enzymes gastriques retrouvées dans la salive. Les zones les plus touchées sont les faces palatines des dents maxillaires (Fig. 2a), mais aussi une atteinte des pointes cuspidiennes (Fig. 2c). 

Figure 2 – a) Érosions des faces linguales du secteur incisivo-canin maxillaire caractéristiques de vomissements récurrents. b) Érosions des faces vestibulaires des incisives maxillaires provoquées par des boissons acides (HAS). c) Atteinte érosive des pointes cuspidiennes causée par des vomissements récurrents (26).

Les érosions d’origine extrinsèque

Elles peuvent aussi être d’origine extrinsèque avec l’ingestion d’aliments acides utilisés comme coupe-faim (vinaigre, citron, soda), et/ou d’aliments sucrés dont les produits de dégradation par les bactéries buccales libèrent des dérivés acides et abaissent le pH buccal (24). En effet, un pH bas à répétition favorise le phénomène d’érosion dentaire. Les zones les plus touchées sont les faces vestibulaires des incisives maxillaires (Fig. 2b). Une hypersensibilité dentaire peut apparaître et causer des douleurs suite à des stimulus thermiques, sucrés, et même au simple toucher. 

Prise en charge

• Afin de prévenir les sensibilités dentaires causées par l’érosion, il est conseillé aux patients de se rincer la bouche après un épisode purgatif et d’attendre 20 min avant de se laver les dents, ce qui aura pour effet de diminuer l’acidité buccale responsable des érosions. 

• De plus, l’utilisation d’un dentifrice fluoré viendra fortifier l’email et favoriser sa reminéralisation. 

• Si ces érosions sont importantes, le chirurgien-dentiste peut appliquer un vernis fluoré deux fois par an ou mettre en place des résines pour remplacer l’émail détruit et protéger ainsi la dentine sous-jacente (25). 

• Enfin, une gouttière de protection mise en place avant les épisodes purgatifs peut être réalisée par le chirurgien-dentiste pour limiter les attaques acides. 

La péri-mylolyse ou la lésion cervicale d’usure

La zone cervicale située à la jonction entre la gencive et la dent est une zone vulnérable du fait de la présence entre la couronne et la racine d’une fine épaisseur d’émail. L’ingestion d’aliments acides, les vomissements récurrents, le brossage iatrogène (brossage intensif réalisé à l’aide d’une brosse à dents à poils médium ou durs, de manière horizontale qui détruit mécaniquement l’émail dentaire) ainsi que la diminution du flux salivaire sont des facteurs de risque de mylolyse, c’est-à-dire la destruction de la zone cervicale de la dent (Fig. 3) (24, 25). 

Figure 3 – Lésions cervicales d’usure causées par brossage iatrogène et acidité extrinsèque (27).

Prise en charge

• Afin de prévenir ces lésions cervicales d’usure, il est conseillé de se rincer la bouche à l’eau ou avec une solution de bicarbonate de soude après ingestion d’aliments acides ou de phénomène de purge et d’instaurer une fréquence de brossage maximum de trois fois par jour avec une brosse à dents à poils souples et des mouvements de brossage verticaux (de la gencive vers la dent). 

• Le brossage doit être réalisé avec un dentifrice fluoré pour renforcer l’émail.

Les lésions carieuses

Le processus carieux dépend de l’équilibre entre les facteurs d’agression des bactéries cariogènes du biofilm dentaire, influencé par l’alimentation et les défenses de l’hôte. Les caries correspondent à la déminéralisation des tissus durs de la dent. Elles sont causées par une dysbiose du biofilm supra-gingival, associée à une consommation excessive de sucres et/ou à une mauvaise hygiène bucco-dentaire (28, 29). 

Prise en charge

• Il est donc important d’avoir une hygiène bucco-dentaire rigoureuse avec deux brossages minimum par jour pendant 2 minutes et de limiter les grignotages. 

• De plus, dans le cas d’apparition de lésions carieuses, une prise en charge précoce est primordiale pour arrêter le processus et éviter un délabrement important des dents. Dans le cas contraire, l’évolution de la carie peut atteindre la pulpe nécessitant la dévitalisation de la dent, voire les racines de la dent, et conduire à l’extraction, car jugée non conservable.

Les personnes atteintes de TCA sont vulnérables à ce processus carieux par l’existence de grignotages récurrents, d’une prise sucrée importante sur un tissu dentaire abîmé par les phénomènes de purge, d’une mauvaise hygiène ou un brossage consécutif aux vomissements.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article. 

Bibliographie

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