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Adomed webinaire juillet 2025
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Ouvrage choisi : Piarroux R. La Vague. L’épidémie vue du terrain. CNRS éditions, 2020. 235 pages.

L’auteur

Renaud Piarroux est professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales. Il a organisé sur le terrain la lutte contre l’épidémie de choléra à Haïti ayant causé 10 000 morts entre 2010 et 2018. Il contribua à faire reconnaître la responsabilité des Casques bleus de l’ONU dans le développement de cette épidémie.

 

La Vague

Son livre, La Vague, relate son action pour mettre en œuvre efficacement la stratégie tester-tracer-isoler à Paris puis en Guyane lors de la première vague de la Covid-19 et du déconfinement qui suivit. Cette stratégie, seule à même de bloquer la circulation du virus et de permettre le retour à une vie normale, a été appliquée efficacement en Chine au prix d’un contrôle total de la population soumise à une dictature sanitaire et policière. La question posée était, alors, comment mettre en œuvre cette stratégie dans un pays démocratique attaché au respect des libertés individuelles ?

Contexte

Le dépistage systématique et la mise en quarantaine des ressortissants français rapatriés de Wuhan avaient montré la voie, mais la sous-estimation de la dynamique de la pandémie avait provoqué, lors de la déferlante des contaminations sur le Grand Est et l’Île-de-France, le repli sur le Samu, les urgences hospitalières et les réanimations. Les patients positifs ne développant pas de formes graves rentraient chez eux avec de simples conseils d’isolement sans dépistage des personnes contacts et sans aide. Manquant de tout, de masques comme de tests, nous étions incapables de suivre la progression territoriale du virus et de casser les chaînes de contamination. Force fut de décréter un confinement rigoureux, généralisé à tout le pays en dehors des blouses blanches et des travailleurs de première ligne dont l’activité était indispensable à la survie du pays. On vit alors la puissance de la devise républicaine, liberté-égalité-fraternité, illustrée par les soignants “montant au front”. Leur engagement solidaire, leur capacité d’initiative et d‘organisation furent reconnus et salués par l’ensemble des citoyens. Renaud Piarroux, fort de son expérience dans des pays démunis, comprit qu’il fallait utiliser cette mobilisation au service de l’action de santé publique de proximité.

Le programme Covisan

À partir de la Pitié Salpêtrière, avec l’accord de l’AP-HP et de l’ARS de l’Île-de-France, il mit en place des équipes mobiles constituées de volontaires. Son livre, La Vague, relate le développement de ce programme nommé Covisan.

Les équipes mobiles

Chaque équipe était constituée d’un binôme associant un professionnel de santé ou un étudiant en santé et un acteur social. Leurs missions étaient de rencontrer les patients et de proposer à ceux qui le souhaitaient de tracer les cas contacts et de les aider à s’isoler efficacement chez eux ou hors de chez eux. Rien n’était imposé, tout était seulement proposé et le patient décidait en fonction de ses besoins. « Le maître mot était confiance ». Il fallait préalablement former les binômes, associer les médecins généralistes volontaires grâce notamment aux CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) d’abord des 13e et 14e arrondissements puis du 15e, du 18e et du 20e et aux maisons de santé pluriprofessionnelles à Aubervilliers, Bondy, Saint-Ouen, Bobigny…

Un projet qui prend de l’ampleur

Plusieurs institutions rejoignirent le projet : la ville de Paris, plusieurs communes de la petite couronne, le département de Seine-Saint-Denis, la Région Île-de-France, mais aussi la Croix rouge, la Protection civile et des acteurs privés comme Accor et Sodexo… Les équipes mobiles disposèrent ainsi de solutions d’hébergement, d’aide pour les courses, d’aide sociale et de suivi médical. Renaud Piarroux rédigea une note intitulée « Une approche communautaire adossée aux soins » adressée notamment à un certain Jean Castex, responsable du déconfinement. Il expliquait que « pour isoler les personnes contagieuses, il n’est pas nécessaire de recourir à l’autorité. En nous alliant avec elles, nous pouvons faire en sorte que ce choix soit le leur, ou au minimum de les convaincre de protéger les autres du mieux qu’elles peuvent et leur apprendre comment le faire… Tout sujet détecté, qu’il soit malade ou asymptomatique, devrait se voir proposer une aide pour éviter de contaminer son entourage, à la maison, lors des trajets et au travail. Rares sont les gens qui, s’ils peuvent l’éviter, prennent le parti de mettre en danger leurs parents, leurs amis, leurs collègues de travail, leurs voisins. Covisan peut être très utile, surtout dans le climat de défiance envers toute forme d’autorité que la pandémie n’a pas dissipé. Dans la très grande majorité des cas, les interventions des équipes mobiles sont très appréciées. »

Les blocages

On apprend aussi dans le livre comment l’expérience de Covisan prenant de l’ampleur a été récupérée et bloquée par la bureaucratie qui pense normes à respecter et règles à imposer, et par certains syndicats de médecins libéraux (pas tous) qui considèrent que la ville est leur “chasse gardée”. Aucun de ces deux protagonistes ne voyait d’un bon œil la participation de bénévoles. Nicolas Revel, directeur de la Cnam (avant de devenir le directeur de cabinet de Jean Castex) proposa aux médecins généralistes souhaitant mener le contact tracking au-delà de la cellule proche du patient « une rémunération de 2 euros pour chaque contact avec saisie des éléments de base et 4 euros pour chaque cas contact avec saisie de données plus complètes ». Les équipes mobiles devinrent dans le discours du Premier ministre des “brigades” et comme les professionnels de santé libéraux ne pouvaient à eux seuls assurer cette tâche, que pourtant ils revendiquaient, on la transforma en un simple appel téléphonique par des personnels de la Sécurité sociale. Comble de la bureaucratie centralisatrice, le contact tracking fut appliqué en Guyane comme en métropole par des appels téléphoniques des personnels des caisses, antillaises et métropolitaines, ne connaissant pas le contexte local. Renaud Piarroux note « Tous nos interlocuteurs, sur place, soulignent que ce traçage téléphonique n’est pas adapté à la Guyane » et il conclut « Derrière la problématique du contact tracking se profile celle de la situation économique et sociale des patients. C’était déjà important à Paris, ici, cela devient critique. »

 

Les carences de notre système de santé

Une pratique médicale centrée sur le traitement

Ce livre met en évidence les carences de notre système de santé construit pour la prise en charge des maladies aiguës, bénignes ou graves (1re et 2e médecines), où la pratique médicale est centrée sur le traitement et dont le paradigme rêvé par certains serait celui de “la médecine industrielle”. Les progrès technologiques permettent de transformer cette prétendue “médecine industrielle” en “médecine de précision” abusivement qualifiée de “personnalisée”. En revanche, notre système est inadapté au suivi des patients atteints de maladies chroniques centré sur la personne malade (la 3e médecine). Nous le savions, mais j’ai découvert grâce à La Vague qu’il est aussi inadapté à la santé publique de terrain centrée sur la prévention et la protection des populations (la 4e médecine). Et ce, en grande partie pour les mêmes raisons :

• le manque de coordination entre la ville et l’hôpital,

• l’insuffisance de prise en compte non seulement de la dimension biomédicale mais aussi sociale, culturelle et psychologique des personnes comme des populations pour les aider aux changements de comportement nécessaires pour se protéger et protéger les autres,

• la sous-estimation de l’importance de la relation de confiance facilitée par des “patients ressources” ou des médiateurs de santé qui permettent l’identification par les patients ou les communautés.

Une gestion bureaucratico-commerciale

Les réformes du système de santé mises en œuvre depuis près de
20 ans ont renforcé la gestion bureaucratico-commerciale
réduisant la pratique médicale à l’application de procédures standardisées et le management à une gestion par les nombres, de haut et de loin.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.

À RETENIR

On peut penser qu’une gestion de la première phase de la crise sanitaire moins verticale, moins “militaire”, moins centralisée, plus participative, plus territorialisée, plus communautaire (communautaire et non communautariste) aurait pu être plus efficace et susciter plus d’adhésion, notamment quand vînt l’heure de la gestion de la deuxième phase inaugurée par la vaccination.