Site professionnel spécialisé en Diabète et Obésité

Transmission intergénérationnelle de l’obésité : tout est-il joué in utero ?

Actuellement, en France, 21 % des enfants entre 8 et 17 ans présentent une surcharge pondérale, dont 6 % sont en situation d’obésité (1). On sait depuis longtemps qu’il existe des corrélations avec le niveau socio-économique des parents, l’IMC parental, les antécédents familiaux, le tabagisme parental, la sédentarité, le temps d’écran. Le lien avec la prise de poids gestationnelle, même chez les mères de poids normal, est également établi par de nombreuses études de cohorte. Les différentes mesures de restriction liées à la pandémie récente ont encore accru l’incidence et surtout les inégalités en la matière.

Une session débat de l’ADA intitulée « Transmission intergénérationnelle de l’obésité : the Womb or the Home? », jeu de mots difficile à traduire, a éclairé un peu plus les liens entre les événements de la vie intra-utérine, ceux de la toute petite enfance, et le surpoids.

 

L’héritabilité de l’IMC

Dans une vaste étude britannique de jumeaux, nés en 2007, sur 925 paires, dont 34 % d’homozygotes, l’héritabilité du z-score de l’IMC dans un milieu “obésogène” est de 86 versus 39 % en cas d’environnement qualifié de favorable, la variance étant imputable à la génétique dans 62 % des cas (2). Les critères évalués pour caractériser le milieu étaient l’alimentation, l’activité physique et le temps d’écran (Rothberg AE, ADA 2021).

 

The Womb

L’adaptation métabolique du fœtus et du jeune enfant

Pour aller un peu plus loin, l’intervention très percutante pro “Womb” du Pr Peter Gluckman, de l’université d’Auckland, a permis de préciser la notion d’adaptation métabolique du fœtus et du jeune enfant (Gluckman P, ADA 2021). Il fait remarquer que ces adaptations successives de l’espèce humaine à des conditions de vie évolutives ont permis la survie de l’espèce. Cette capacité d’adaptation est liée à des interactions multiples entre le génome, et les mécanismes épigénétiques, culturels, environnementaux.

Les modifications épigénétiques

Juste après la fécondation

Les modifications épigénétiques sont décrites depuis une étude déjà ancienne (3) comme survenant très précocement sur l’ADN fortement déméthylé des cellules totipotentes du développement embryonnaire, notamment une corrélation entre masse grasse des enfants à 9 ans et pourcentage de méthylation de CpG 2/13 sur le sang de cordon.

En cours de grossesse

Mais ces modifications épigénétiques peuvent également survenir plus tard dans la grossesse, et en période post-natale immédiate. En témoigne cette analyse secondaire de l’étude randomisée UPBEAT (4), qui montre qu’une intervention sur le mode de vie (diététique et activité physique, en huit séances hebdomadaires de 1 heure) proposée à des femmes enceintes obèses (IMC = 36), à partir de 18 SA, si elle ne réduit pas le risque de diabète gestationnel (DG) (25 versus 26 % dans le groupe contrôle), diminue de manière très significative les modifications de méthylation constatées chez les femmes ayant un diagnostic de DG (porté entre 27 et 28 SA, sur les critères IADPSG) ; en particulier chez les femmes ayant une glycémie post-charge à 1 heure élevée. Cet accent porté sur la glycémie à 1 heure de l’HGPO intéressera les diabétologues, car il rejoint le volet pédiatrique de l’étude HAPO qui montre un lien entre la diminution des capacités insulinosécrétoires des enfants à 10 ans et la glycémie à 1 heure lors du test diagnostique chez leur mère (5).

Le phénotype d’épargne

Enfin, si on connaît depuis sa description par Barker l’hypothèse du phénotype d’épargne, il est intéressant de voir qu’il est confirmé qu’avoir un petit poids de naissance, témoignant d’une malnutrition fœtale (dysfonctionnement placentaire ou malnutrition maternelle), a plus d’influence sur l’avenir pondéral des enfants que le gros poids de naissance. En revanche, il est, selon l’équipe britannique de Crozier (6), réversible dans un environnement nutritionnel favorable dans la petite enfance (Fig. 1).

Figure 1 – Influence du milieu post-natal en fonction du poids de naissance (Crozier SG et al, Université de Southampton).

 

Le comportement alimentaire de l’enfant

Effet du stress maternel

Si le surpoids parental, le diabète, les événements métaboliques sont importants, le rôle du stress maternel, pendant la grossesse et en post-partum, semble également jouer un rôle dans le comportement alimentaire de l’enfant. L’étude GESTO (7) retrouve des anomalies du système limbique chez les enfants (30 % de la cohorte) des femmes présentant des signes de stress ou de dépression à 28 SA. Ces anomalies semblent influencer les fonctions exécutives et la possibilité de contrôle alimentaire des jeunes enfants, et sont réversibles par une intervention sur le mode de vie. À 6 ans, on assiste en effet à une normalisation pondérale et comportementale lorsque l’on a adapté l’alimentation, en proposant des rations plus petites ralentissant la prise des repas, permettant une restauration de la satiété.

Effet du diabète gestationnel

Le même type de modifications du comportement alimentaire a été suggéré par une équipe ayant réalisé des IRM fonctionnelles chez des enfants exposés ou non au DG in utero démontrant une activation différente des systèmes de récompense en cas d’exposition avant 26 SA (8)

L’effet global in utero passe donc par divers mécanismes, épigénétiques, mais aussi perturbations du neuro-développement pouvant avoir des effets à divers degrés sur le comportement ultérieur, les apports alimentaires, et la capacité à réguler l’ensemble de la nutrition.

 

The Home

Le Pr Julie Lumeng, de l’université du Michigan, défendait l’hypothèse “the Home(Lumeng J, ADA 2021). Après la naissance, il est connu que le comportement parental par rapport à la nourriture a un effet puissant, médié par l’exemple et les habitudes familiales et culturelles, mais également par l’état psychologique, étudié surtout chez les mères ; une mère dépressive ou en grande difficulté sociale ayant tendance à manger moins souvent et moins volontiers avec ses enfants, à lui proposer plus souvent des écrans pendant les repas et des aliments compensatoires. Cela peut sembler caricatural, mais a été retrouvé dans plusieurs études (9). Le modèle parental (permissif, autoritaire, etc.) ayant un effet plus important dans les familles en proie à des difficultés psychosociales. Le rôle des événements traumatiques de la petite enfance est majeur, car ces derniers modifient l’aptitude à apprécier la nourriture, entraînent à chercher des compensations rassurantes dans des produits sucrés.

 

Conclusion

Les conclusions de ce symposium, très intéressant pour notre spécialité, nous ont évoqué trois réflexions.

• L’impact important des événements métaboliques, même mineurs (hyperglycémie modérée, surpoids simple) souligne qu’une prise en charge de ceux-ci est utile pour l’avenir. Les études se focalisant à l’excès sur la macrosomie ou les incidents obstétricaux négligent en effet le retentissement tardif sur l’enfant. D’autant que les interventions éducatives, souvent décevantes sur les critères purement obstétricaux, sembleraient efficaces pour limiter les modifications de l’épigénome.

• Tout n’est pas joué dès la naissance, et il est certainement capital de proposer aux familles à risque d’obésité de modifier leurs habitudes de vie : éducation à la parentalité, activité physique en famille, soutien psychologique et social. La formation des professionnels de la petite enfance devrait s’y intéresser. Tous les enfants ne sont pas, comme c’est souvent proclamé, capables d’autorégulation.

• Enfin, tout cela n’est pas du seul ressort médical, mais les choix sociaux et politiques sont nécessaires, car, comme l’a souligné le Pr Gluckman dans sa conclusion, les capacités adaptatives de l’organisme humain ne sont pas illimitées et peuvent être dépassées en cas d’obésité extrême, de diabète maternel, ou de régimes particulièrement obésogènes chez le jeune enfant. En cela, le rapport sur les 1 000 premiers jours (10), publié en septembre 2020, sous l’égide du Pr Cyrulnik, propose des pistes intéressantes.

 

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.

 

Bibliographie

1. Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité pour la Ligue contre l’obésité OBEPI/ODOXA 2021.

2. Schrempft S, van Jaarsveld CHM, Fisher A et al. Variation in the heritability of child body mass index by obesogenic home environment. JAMA Pediatr 2018 ; 172 : 1153-60.

3. Godfrey KM, Sheppard A, Gluckman PD et al. Epigenetic gene promoter methylation at birth is associated with child’s later adiposity. Diabetes 2011 ; 60 : 1528-34.

4. Antoun E, Kitaba NT, Titcombe P et al. Maternal dysglycaemia, changes in the infant’s epigenome modified with a diet and physical activity intervention in pregnancy: Secondary analysis of a randomised control trial. PLoS Med 2020 ; 17 : e1003229.

5. Lowe WL Jr, Scholtens DM, Kuang A et al. Hyperglycemia and adverse pregnancy outcome follow-up study (HAPO FUS): maternal gestational diabetes mellitus and childhood glucose metabolism. Diabetes Care 2019 ; 42 : 372-80.

6. D’Angelo S, Yajnik CS, Kumaran K et al. Body size and body composition: a comparison of children in India and the UK through infancy and early childhood. J Epidemiol Community Health 2015 ; 69 : 1147-53.

7. Horsch A, Kang JS, Vial Y et al. Stress exposure and psychological stress responses are related to glucose concentrations during pregnancy. Br J Health Psychol 2016 ; 21 : 712-29.

8. Luo S, Angelo BC, Chow T et al. Associations between exposure to gestational diabetes mellitus in utero and daily energy intake, brain responses to food cues, and adiposity in children. Diabetes Care 2021 ; 44 : 1185-93.

9. Horodynski MA, Brophy-Herb HE, Martoccio TL et al. Familial psychosocial risk classes and preschooler body mass index: The moderating effect of caregiver feeding style. Appetite 2018 ; 123 : 216-24.

10. Cyrulnik B, Benachi A, Filliozat I et al. Les 1 000 premiers jours. Là où tout commence. Rapport public. Ministère des Solidarités et de la Santé. Septembre 2020.