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Définir des sous-groupes de prédiabète pour personnaliser la prévention : focus sur “le syndrome métabo-rénal”

Article choisi : Wagner R, Heni M, Tabák AG et al. Pathophysiology-based subphenotyping of individuals at elevated risk for type 2 diabetes. Nat Med 2021 ; 27 : 49-57.

Le prédiabète

Une notion reconnue

Le prédiabète est reconnu par les sociétés savantes, en particulier l’American Diabetes Association (ADA) y fait mention à de nombreuses reprises dans ses Standards of Care (1).

Une notion discutée

C’est pourtant une notion discutée en raison notamment de la variabilité d’un jour à l’autre du paramètre biologique principal sur lequel elle est définie, et donc de sa valeur pronostique très limitée dans le moyen terme (5-10 ans) vis-à-vis du risque de diabète authentique. Dit autrement, la plupart des individus avec prédiabète ne seront pas diabétiques dans les 10 ans, même si leur risque est augmenté par rapport à d’autres personnes de même âge. Il s’agit donc moins d’une maladie patente à un stade précoce que d’un risque statistique, latent par définition. Une nuance sémantique qui pourrait être favorisée par des industriels enclins à “créer des maladies” là où il n’y en a pas vraiment, pour ouvrir un marché : c’est ce qui avait été dénoncé dans un éditorial cinglant de Science en 2019 (2) qui désignait l’ADA comme complice de cette manipulation.

La caractérisation du prédiabète

La messe n’est pas dite car si une méta-analyse récente confirme la valeur pronostique du prédiabète (3), les résultats de suivi à très long terme de l’intervention du DPP (Diabetes Prevention Program, l’intervention ayant lieu au stade de prédiabète) ne montrent pas de bénéfice sur la mortalité (4). Il faut donc progresser sur la caractérisation du prédiabète pour en faire un outil de prévention du diabète et surtout des atteintes d’organes cibles, le graal.

 

Les cinq sous-types de diabète 2 récent selon Ahlqvist

Cette approche rejoint la démarche initiée par Ahlqvist et al. en 2018 pour le diabète de type 2 (5). Par l’analyse dans une population de patients avec diabète de type 2 récent d’une liste restreinte de variables cliniques et biologiques, incluant tout de même le C-peptide, ont été isolés cinq sous-types (clusters) avec des profils bien distincts (Tab. 1). Ces profils correspondent à des présentations cliniques au moment de l’évaluation, mais aussi à des risques différents de complications. Ainsi, le groupe 3 était particulièrement exposé à des complications rénales. On imagine bien que cela incite à privilégier la classe des inhibiteurs de SGLT2 tôt dans l’escalade thérapeutique, en particulier. Un bémol a été émis par des investigateurs britanniques : l’analyse rétrospective d’essais thérapeutiques ne suggère pas que la réponse aux interventions testées diffère selon l’appartenance à tel ou tel groupe défini “selon Ahlqvist” (6). Cela n’est peut-être pas une généralité, notamment concernant les classes thérapeutiques les plus récentes. Quoi qu’il en soit, si l’utilité clinique en termes de choix stratégiques de prise en charge d’un individu donné, précocement dans sa trajectoire de diabète de type 2, reste à être définie, la perspective d’accéder à une véritable personnalisation semble accessible.

 

Les six sous-groupes de prédiabète selon Wagner

Selon une analyse similaire des données clinico-biologiques de participants à des études de la population générale incluant les résultats d’une HGPO, un score génétique agrégeant des variants à risque de diabète et des mesures de la graisse abdominale et intra-hépatique, six sous-groupes sont isolés (Tab. 1).

Les sous-groupes à risque faible de développer un diabète

Trois sous-groupes de ces populations d’étude (clusters 1, 2 et 4 dans l’article) ont un risque faible de développer un diabète.

• Les membres des groupes 1 et 2 avaient peu de problèmes de santé de façon générale, le groupe 2 ayant un indice de masse corporelle (IMC) optimal en moyenne (23 kg/m2) et un risque de complication à long terme très faible.

• Le groupe 4 avait en moyenne un IMC de 32 kg/m2, mais très peu de marqueurs pathologiques : une obésité “saine”, observée dans 20 % de la population.

Les sous-groupes à risque augmenté de développer un diabète

Les trois autres sous-groupes sont à risque augmenté de diabète.

• Le groupe 3 est constitué de personnes minces, relativement insulinopéniques.

• Le groupe 5 est très insulinorésistant et exposé à une hépatopathie stéatosique et un diabète sévère.

• Le groupe 6 est plus inattendu : si le risque de diabète est élevé, celui-ci est plutôt plus tardif que la survenue de “complications” rénales. On peut donc plutôt dire qu’il y a un risque parallèle de diabète et de néphropathie, ou un syndrome “métabo-rénal”, par analogie avec le syndrome cardio-rénal. La mortalité est particulièrement élevée dans ce groupe.

 

Connexion entre les deux classifications

Bien sûr, il est tentant de vouloir connecter ces deux sous-typages entre eux, celui du prédiabète de Wagner et celui du diabète de type 2 récent d’Ahlqvist. On aimerait que des séquences univoques se dessinent, légitimant une unification fondée sur la physiopathologie. On n’en est pas encore tout à fait là : l’analyse sur une population suivie longtemps et phénotypée itérativement en détail montre que si des successions sont bien privilégiées (par exemple du sous-groupe 3 de Wagner, très insulinorésistant, au sous-type de diabète SIRD (Severely Insulino-Resistant Diabetes) de la classification d’Ahlqvist), les passages d’un sous-groupe de prédiabète à un sous-type de diabète apparemment de physiopathologie distincte sont fréquents (Fig. 1). Imprécisions du phénotypage, combinaisons de traits physiopathologiques dont l’un ou l’autre peut prendre le dessus à des temps différents de la vie ? Les réplications, analyses agrégées, compléments de phénotypage dans des études ciblées, etc. permettront d’affiner les périmètres de définition et de leur base physiopathologique. Surtout, elles valideront leur valeur pronostique, préalable à des interventions de prévention précoce ciblées.

Figure 1 – Transitions vers les classes de diabète définies par Ahlqvist pour les sujets qui ont été affectés à des sous-groupes de prédiabète selon Wagner dans l’étude Whitehall II et qui ont développé un diabète pendant le suivi.

 

Le syndrome métabo-rénal

Le sous-groupe 6 semble cerner un nouveau concept, celui de “syndrome métabo-rénal”.

Risque de diabète modéré

Le risque de diabète est modéré, et en quelque sorte en compétition morbide avec la sévérité de l’atteinte rénale et, probablement en lien étroit avec celle-ci, avec la survenue d’événements cardiovasculaires et du décès.

Surpoids/obésité

Ces patients sont en surpoids, voire obèses, mais avec un excès de graisse essentiellement de distribution abdominale ainsi que péri-rénale. L’accumulation de graisse en ces deux dépôts a été associée avec une atteinte glomérulaire, de présentation histologique superposable à la néphropathie diabétique même sans hyperglycémie, avec une hyperfiltration témoignant d’une hypertension intra-glomérulaire et avec un déclin accéléré de la filtration lorsque l’insuffisance rénale est installée, même lorsque les facteurs de risque sont contrôlés : équilibre glycémique, pression artérielle notamment.

Insulinosécrétion relativement préservée

Dans le sous-groupe 6, l’insulinosécrétion est relativement préservée dans un contexte d’insulinorésistance : l’organisme est donc exposé à une hyperinsulinémie qui pourrait directement contribuer à une souffrance glomérulaire par des mécanismes à la fois hémodynamiques et de toxicité métabolique.

Interventions bénéfiques ?

Ces patients pourraient tirer un bénéfice métabolique, mais aussi rénal, et in fine cardiovasculaire d’interventions visant à réduire cette double agression :

• activité physique (cf. le bénéfice rénal dans LOOK-AHEAD (7)),

• réduction pondérale y compris avec de la chirurgie bariatrique à visée de réduction modérée de l’excès pondéral,

• metformine,

• ligands de PPAR-gamma,

• agoniste du récepteur du GLP-1

• et inhibiteurs de SGLT2.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.

À RETENIR

•  Une hyperglycémie modérée constitue un état de “prédiabète”, une situation cependant d’une grande hétérogénéité pronostique : quelle trajectoire métabolique vraiment ensuite, et en premier lieu quel risque de diabète avéré ? Et dans ce cas, quel risque de complications plus tard ?

•  Les anomalies physiologiques qui ont conduit à cette hyperglycémie sont aussi variées : plutôt insulinopénie ou insulinorésistance ?

•  Wagner et al. ont utilisé des données clinico-biologiques classiques, mais aussi plus fines issues d’HGPO et de mesures de la graisse abdominale ou intra-hépatique et d’un score génétique pour définir des groupes plus homogènes de personnes avec prédiabète.

•  Cela rappelle bien sûr l’analyse d’Ahlqvist (4) qui avait procédé de même en balayant les classiques “type 1, type 2, etc.” pour redéfinir des sous-types de diabète basés sur le phénotype des individus. Ici, ce sont six sous-types de prédiabète qui sont identifiés sur une cohorte bien phénotypée, puis répliqués.

•  Le risque de diabète à court terme est très élevé pour deux sous-types, tandis qu’il est modéré pour les individus d’un troisième groupe qui sont en revanche à très haut risque rénal.

•  Si d’autres cohortes confirment que ces sous-types sont robustes dans leur périmètre, leur valeur pronostique et potentiellement leurs bases physiopathologiques, ce sera révolutionnaire : fini le diabète de type 2 défini par élimination des autres causes, et la voie est ouverte à des choix thérapeutiques personnalisés, fondés sur les anomalies physiopathologiques et le risque clinique les plus probables.

 

Bibliographie

1. American Diabetes Association. Standards of medical care in diabetes-2022 Diabetes Care 2022 ; 45 : S185-94.

2. Piller C. The war on prediabetes could be a boon for pharma – but is it good medicine? Science 2019.

3. Schlesinger S, Neuenschwander M, Barbaresko J et al. Prediabetes and risk of mortality, diabetes-related complications and comorbidities: umbrella review of meta-analyses of prospective studies. Diabetologia 2022 ; 65 : 275-285.

4. Lee CG, Heckman-Stoddard B et al. Effect of metformin and lifestyle interventions on mortality in the diabetes prevention program and diabetes prevention program outcomes study. Diabetes Care 2021 ; 44 : 2775-82.

5. Ahlqvist E, Storm P, Käräjämäki A et al. Novel subgroups of adult-onset diabetes and their association with outcomes: a data-driven cluster analysis of six variables. Lancet Diabetes Endocrinol 2018 ; 6 : 361-369.

6. Dennis JM, Shields BM, Henley WE et al. Disease progression and treatment response in data-driven subgroups of type 2 diabetes compared with models based on simple clinical features: an analysis using clinical trial data. Lancet Diabetes Endocrinol 2019 ; 7 : 442-51.

7. Look AHEAD Research Group. Effect of a long-term behavioural weight loss intervention on nephropathy in overweight or obese adults with type 2 diabetes: a secondary analysis of the Look AHEAD randomised clinical trial. Lancet Diabetes Endocrinol 2014 ; 2 : 801-9.